Whatever happens, the sun rises
Nous ne cessons de rencontrer de nouvelles personnes. Des personnes qu’on aime tout en les haïssant, qu’on envie et admire, qu’on aimerait éviter comme la peste. Il arrive aussi de rencontrer ce type de personnes… Ceux qui se disent être là pour nous aider alors qu’ils sont là uniquement pour le contraire. Ils nous enfoncent, nous attristent, nous détruisent. Ainsi va notre vie…
Tu veux les contredire, mais tu te tais. Tu aimerais riposter, mais tu n’en as pas la force. Ils te rabaissent et tu restes silencieux, gardant ce misérable sourire faible aux lèvres. Car c’est ce que nous sommes. Des misérables. De pauvres êtres trop faibles pour se rebeller, pour lever le poing, pour faire face, pour nous battre afin de sauver nos opinions, nos croyances, notre manière de voir la vie. Pour nous sauver, nous.
June a été ainsi, elle n’est pas la seule. Étouffée, rabaissée, source de moquerie, contrôlée, maîtrisée, mais surtout limitée. L’empêchant d’être. Mais elle a toujours gardé cet air imperturbable, ce masque de porcelaine qui n’a cessé de recevoir des coups. Masque cachant une rage profonde, une haine sans fin envers autrui. Envers eux. Ce masque inébranlable qui l’a tué à petit feu, mais qui ne s’est jamais brisé malgré les fissures. Pourquoi ? Par peur. Peur de ces satanés regards. De ces gestes violents. De ces langues fourbes. De ces rires sarcastiques.
Ils jugent, ils tuent. Il suffit de croiser leur regard pour baisser le nôtre, faibles que nous sommes. Impuissants, sans armes, perdus. Une fois que l’on croise ces regards, on n’y échappe plus. Que ce soit avec notre famille, nos amis, de parfaits inconnus ou encore même au milieu d’une foule. Ces regards nous suivent et nous les endurons. Ils ne nous quittent plus. Ils nous empêchent d’avancer. De vivre. Ils nous laissent en morceaux, de pauvres êtres abîmés, froissés, effondrés, frustrés. Cherchant désespérément une issue de secours.
Nous ne disons rien et pourtant une longue plainte est enfermée dans notre âme, cherchant à éclater, à se libérer, à se battre, mais dont on n’a pas la force de laisser sortir. Par peur, encore une fois.
La crainte, la honte, la peine, la douleur. Tant de sentiments, de pessimisme. Leurs rires sont des coups pour nous. Leurs moqueries nous étouffent. Leurs paroles engendrent nos larmes. Ils vivent et nous nous éteignons.
Agonie, solitude, contradiction, ravagée… Tant a toujours tourmenté June. Voilà ce qui la définit. Elle a longtemps souhaité se libérer, s’imposer, se défendre, le désirant au plus profond d’elle-même. Mais rien ne s’échappait de son masque pâle et neutre. Prisonnière d’elle-même. Soumise face à ceux s’imaginant tels des tout-puissants. Seule contre tous. Abandonnée dans un monde qui n’est pas le sien, où elle ne trouve pas sa place. Où elle n’a pas sa place.
Agonie. Jamais nous ne serons habitués à ta violence, à ta froideur, à l’horreur de ta présence.
Combien de fois a-t-elle prié pour que tout cela s’arrête, cesse, qu’elle soit enfin seule, qu’elle puisse enfin dire adieu à la tristesse. Elle a prié sans jamais trouver personne pour l’aider. Seule, elle était seule. Ne pouvant compter que sur elle-même, sans avoir la force de se battre. Sans trouver où puiser cette force.
Elle n’a jamais pensé pouvoir s’échapper de ces tourments continus et violents. Elle ne pensait plus. Jusqu’à ce qu’il lui tende la main. Jusqu’à ce qu’il change tout. Jusqu’à ce qu’il la change.
Each and Every
Pourquoi s’attarder sur la naissance de June ? Il ne s’est rien passé d’intéressant et encore moins d’original. Elle est venue au monde en bonne santé, mais ce qui peut être utile pour vous à savoir est dans quel environnement elle a vu le jour. Née d’un père architecte et d’une mère rédactrice en chef d’un magazine de mode, on pourrait croire qu’elle aurait droit à une enfance heureuse, ça n’a malheureusement pas été le cas.
Sa mère n’était jamais là, dès que son congé maternité a pris fin, elle est retournée à son bureau avec un large sourire. Pourquoi faire un enfant si elle lui préfère son travail ? Mais Eleonore Malchior était ainsi, à vouloir quelque chose, à tout faire pour y parvenir puis passer outre. C’est ainsi qu’elle était arrivée à la tête de ce magazine de renom. C’est ainsi qu’elle avait réussi à faire flancher le cœur de Richard Hagerman. Eblouie par l’intelligence, le caractère et la beauté de cette femme qui semblait l’aimer, il n’avait tardé à lui demander sa main. Ce sera son erreur, car il n’en sera pas heureux. Peu de temps après ce mariage, elle dévoilera son vrai visage, celui de la femme manipulatrice froide et distante. Mais Richard a toujours été un homme doux, il ne se laissera pas faire facilement, se battant pour retrouver celle qu’il a aimée, et c’est ainsi qu’Eleonore finira enceinte. Ils semblaient si heureux, tous les deux, lui de penser retrouver celle pour qui il aurait tout décroché, elle de voir toutes ces personnes la féliciter. Car oui, elle n’avait pas changé. Jamais Eleonore Malchior ne changera.
Lorsqu’elle était enfant, June passait la majeure partie de son temps avec son père, celui-ci la traitait comme sa petite princesse, son rayon de soleil dans cette vie bien morne. Sa mère lui manquait, June l’a toujours ressenti étant enfant, mais elle ne disait rien, puisqu’à chaque fois qu’elle réclamait son attention, elle avait droit à un
« June, chérie, tu ne vois pas que maman est occupée ? Va t’occuper ailleurs veux-tu ? » en retour, de la voix ennuyée de sa mère, la seule qu’elle lui a réellement connue.
Proche de son père, loin de sa mère, et pourtant le sort a décidé qu’elle finirait aux côtés de cette-dernière lorsque le divorce sera signé. Elle n’avait que 4 ans. Richard avait rencontré quelqu’un d’autre, les disputes avec Eleonore ne cessaient de s’accroître et de s’amplifier, cette vie le tuait. Ce que June ne sait pas, c’est qu’il s’est battu pour elle. Tout ce que ses yeux d’enfants ont retenu est ce souvenir :
Toutes ses valises sont bouclées, je pleure, luttant contre l’emprise de maman qui le regarde partir avec un air triomphant. Je ne suis que ça donc ? Un trophée ? Je la déteste tellement. Elle qui n’a jamais eu un regard pour moi, une tendresse, une gentillesse et avec qui je vais devoir continuer de grandir. Pourquoi tu m’abandonnes papa ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Pourquoi tu pars comme ça ? En me laissant derrière ? Je t’aime papa, et toi ? Tu me manques déjà papa, et toi, m’as-tu déjà oublié ? Mais il continue de s’éloigner de moi, il ne me regarde pas. Il s’évanouit sans même m’accorder un dernier regard…
Solitude
Elle ne l’a plus jamais revu depuis. Pas une seule fois. Pas un appel. Pas une carte. Le néant. Il lui a brisé le cœur. Ses parents lui ont brisé son cœur d’enfant. Elle ne pensait pas que les choses s’aggraveraient.
L’école est un endroit où l’on cultive des relations avec autrui. C’est aussi un lieu où tu te construis et te détruis. June était déjà timide en maternelle, elle l’était d’autant plus lorsqu’il lui a fallu entrer en école primaire. Légèrement à l’écart, elle parlait très peu, cachée derrière ses longs cheveux blonds.
« Tu t’appelles June Hagerman non ? Ma maman, elle m’a dit que ta mère, elle était dans son magazine ! » Elle leva les yeux de son coloriage pour remarquer trois de ses camarades. Elles étaient venues lui parler, à elle. Elle eut un petit sourire et opina.
« Oui, c’est peut-être à cause du métier de ma mère… » « Trop cool ! Moi c’est Karla et elles ce sont Fanny et Mazzie. Dis tu veux bien qu’on vienne chez toi après l’école pour jouer ensemble ? » Son sourire s’élargit, au moins, elle ne serait pas seule chez elle… Elle opina encore une fois. Les mois passèrent, la question revint et elle continua d’opiner. Mais bien rapidement l’impatience et la joie la quittèrent.
Elle avait pour habitude d’être entourée d’amis, ils venaient tout le temps chez elle. Ils s’installaient, elle leur donnait à boire et à manger, ils jouaient, il y avait du bonheur dans l’air et pourtant… Elle se sentait comme une étrangère.
Inquiétude… Infériorité… Solitude… Pourquoi ces mots me viennent à l’esprit ? Pourquoi ai-je le sentiment d’être si éloignée ?
Elle se sentait si heureuse lorsqu’ils lui parlaient et lui demandaient de venir chez elle. Elle était si heureuse quand ils lui souriaient et la complimentaient sur ce qu’elle leur apportait ou sur sa chambre. Puis, ce jour est arrivé. Elles lui ont encore demandé, avec un sourire assuré, mais June ne pouvait pas, ou plutôt ne voulait pas.
« Je… Je suis désolée… Ce soir, ma mère a des amis à la maison… » « Ah. Bon, d’accord… Pas grave. » Puis elles sont parties avec un petit sourire, ce qui rassura June. Jusqu’à ce qu’elle les surprenne à parler d’elle :
« On aurait pu jouer à tous les jeux qu’on voulait… » « Et elle nous donnait toujours quelque chose à grignoter… » « Exactement. Pour quelle autre raison on serait amies avec elle sinon ? » « Chut ! Tu l’as dit à voix haute ! » Et elles rirent toutes ensembles.
Elle avait pour habitude de ramener plein d’amis, mais elle a arrêté du jour au lendemain.
Just like this
Depuis ce jour, la vie de June a été chamboulée. Elle se sentait si seule, elle ne voyait plus les sourires de la même manière, elle ne voyait plus ses amis comme tels. Ces-derniers ont bien remarqué son changement de comportement et c’est ainsi qu’ils ont deviné qu’elle savait et l’ont blâmée. Première descente en enfer. Ce n’est pas parce qu’on est enfant qu’on est doux et gentil.
June sentait leurs regards se poser sur elle, leurs sourires s’étendre, leurs messe-basses sur son passage et leurs rires étouffés. Elle était triste de se sentir seule, de découvrir que ses amis l’avaient laissée tomber seulement parce qu’elle n’avait pas pu, une fois, les inviter. Triste de se rendre compte que jamais elle n’avait été invitée chez personne. Seule, elle était seule, tout simplement.
Sucré, salé, sucré, épicé, sucré, soda, salé…
Sa mère n’était jamais à la maison, renforçant la solitude de sa fille sans même le savoir ni même sans préoccuper. Eleonore trouvait ridicule que sa fille soit si timide, mais ne faisait rien pour s’intéresser plus à elle pour autant. Après tout, c’était une femme bien trop occupée.
June a pris énormément de poids en très peu de temps. Dès qu’elle se sentait mal ou triste, elle dévorait quelque chose sans avoir faim, sans vraiment s’en rendre compte, juste par besoin, ne trouvant réconfort nul-part que dans la nourriture. Elle a commencé à avoir des rondeurs, un ventre apparent, des joues rondes et roses, des mains potelées. C’était son refuge et ça lui a apporté encore plus de malheurs.
« Tu es derrière parce que tu es la plus moche ! » « Je… » « Regardez ! Piggy essaie de courir ! » « Arrêtez de… » « Tu devrais arrêter de t’empiffrer Piggy ! » « C’est parce que… » « AAH ! Attention ! Elle va plonger ! Tsunami ! » « Taisez-vous… »Mais ses chuchotements n’étaient pas assez puissants contre les railleries de ses camarades. Alors elle a fini par se taire, par baisser la tête, faisant tout son possible pour ne pas les écouter. Elle a arrêté de manger. Jetant toutes ses sucreries dans la poubelle, s’enfermant dans sa chambre. Son nouveau réconfort fut premièrement la musique. Elle avait pu demander un lecteur CD pour son anniversaire et passait son temps écouteurs aux oreilles. À l’école, elle le cachait au fond de son cartable et allait s’isoler au cours des récréations pour l’écouter de nouveau. Ça l’apaisait et ainsi, elle n’entendait plus rien d’autre que ce qu’elle voulait. Elle ne voulait tout simplement plus entendre le monde tourner plus vite qu’elle ne le faisait.
Sa seconde bouée de sauvetage fut la lecture. Elle dévorait roman sur roman. Quoi de mieux pour s’échapper de son quotidien et rêver un peu ? Elle avait besoin de ces histoires pour rêver, pour s’évader, n’y parvenant pas par elle-même. Elle ne vivait qu’à travers son imagination, le reste du temps, elle était vide.
Enfin, la primaire arriva à sa fin. Enfin, June allait entrer dans un grand collège de New-York. Enfin, elle allait être débarrassée de tous ces enfants durs et cruels à son égard. Du moins, c’est ce qu’elle espérait…
Hesitation
Les premières années du collège ont été assez calmes pour June. Ce qui est bien dans ces grands établissements c’est qu’il y a beaucoup d’étudiants, on ne remarque pas tout le monde, on ne la remarqua pas. Elle ne parlait à personne et elle était bien contente qu’on lui rende la pareille. Bien sûr, certains se moquaient dans son dos, il y en a toujours, c’est tellement simple de s’en prendre aux plus introvertis, aux différents, surtout lorsqu’on est en bande. Mais elle s’en moquait, ne les écoutait pas. Elle restait dans sa bulle, tentant de s’y contenir et de ne pas ressentir la solitude qui était pourtant là.
Mais sa bulle a fini par être chamboulée, elle finit toujours par l’être. Quand elle rencontra Emma. Elle était dans sa classe alors qu’elle avait 14ans. L’une de ces filles qui attirent les regards, belle, gentille et la plus populaire. Rien ne semblait mal tourner avec elle et pourtant, chacun a sa part d’ombre.
Ce qui les rapprocha ? Le fait que June soit première de la classe. Mais ça, la jeune fille n’allait pas le découvrir de suite… ça lui aurait pourtant évité bien des malheurs.
« Ouah ! June ! Tu es impressionnante ! » Avait déclaré Emma, penchée par-dessus l’épaule de sa camarade qui avait, dans les mains son premier relevé de note de l’année. June l’avait dévisagée. Elle connaissait son prénom ? Assez étonnant pour quelqu’un d’aussi populaire que cette fille… June s’était simplement contentée d’opiner, ne sachant quoi dire, pensant qu’il n’y aurait rien de plus que ce simple échange un peu gênant. Et pourtant, le lendemain…
« June ! Tu viens manger avec nous ? » La jeune fille à la longue chevelure blonde dévisagea de nouveau Emma. Les amies de cette dernière firent de même. June regarda son sac. Normalement, elle ne mange pas le midi ou se contente d’un fruit. Alors elle ouvrit la bouche pour dire :
« J’ai oublié mon déjeuner… » pensant que cela découragerait la jeune fille. Mais elle se leva et attrapa June par le bras pour l’attirer à leur table :
« C’est pas grave ça ! Je vais partager avec toi, j’espère que tu aimes les sandwichs au poulet ! » Et voilà qu’elle se retrouvait assise aux côtés de ces filles qu’elle ne connaissait pas, un sandwich dans les mains et une Emma souriante qui lançait déjà la conversation à ses côtés. June ne savait pas quoi faire, ni dire, la seule chose à laquelle elle pouvait penser était :
Pourquoi ?
Why
« Salut J !!! Comment ça va ? » June avait un sourire alors qu’Emma se jetait dans ses bras. Sa manière habituelle de saluer ses amis. Ami… June n’y croyait toujours pas. Pourtant, elle baissait petit à petit sa garde, laissant cette fille populaire qui n’avait rien à voir avec elle l’approcher. Pourquoi ? Par manque peut-être. Après tant d’années à avoir rejeté les autres, à s’être retrouvée seule, il fait du bien de pouvoir parler à quelqu’un. Ce même si elle n’aurait jamais pensé que ce serait avec une personne telle qu’Emma.
Elle n’était pas comme les amis de la jeune fille qui la suivait partout, riaient ou s’extasiaient devant la moindre de ses paroles. Elle restait elle-même, celle qu’elle a toujours été, avec ses principes. Elle n’a jamais voulu être un mouton. Elle n’en sera jamais un. Elle goûtait juste au bonheur d’avoir de nouveau des amis, des gens à qui parler même si elle ne partageait pas énormément. Au moins, elle n’était plus seule. Elle ne s’est confiée qu’une fois à Emma…
Voilà dix ans qu’elle n’avait pas revu son père. Dix ans. Elle avait beau demander à sa mère, celle-ci la rembarrait bien rapidement, ennuyée, coupant toujours cours aux questions de sa fille. Même si June gardait un souvenir amer du départ de son père, il lui manquait. Terriblement. Elle avait peu de souvenirs de lui, elle était très petite à cette époque, mais elle revoyait leurs photos, les moments passés ensemble, elle voyait un sourire qu’elle-même ne se connaissait pas et il lui manquait alors d’autant plus.
Elle avait fait ses recherches de son côté. Cherchant à le retrouver. Il vivait dans Brooklyn. Alors elle se décida à partir le voir. Après être rentrée des cours, elle prit l’adresse et sortit de nouveau de chez elle.
« Je vais dormir chez une amie ce soir… » « Une amie ? Je croyais que c’était impossible pour toi ? » « Tu crois beaucoup de chose sans savoir… » Avait-elle marmonné en sortant de leur loft, sans prêter attention à l’exaspération que sa mère affichait en levant les yeux au ciel. Puis elle avait pris un métro, puis un autre, puis le bus, puis elle arriva finalement.
Elle était debout devant une petite maison étroite, sur le trottoir d’en face, le soleil s’était couché et elle avait revêtu sa capuche. Elle attendit. Une heure. Deux heures. Puis, enfin, alors qu’elle commençait à ressentir le froid, une voiture s’arrêta devant la maison. Richard en sortit, baillant, sûrement épuisé par sa journée de travail. June fit un pas en avant, instinctivement, prise par la folle envie de l’appeler. Mais elle s’arrêta net. La porte de la maison s’ouvrit sur une enfant qui courut dans ses bras
« Papa ! ». June se glaça. Arrêtée au milieu de la route, fixant son père enlaçant cette petite, le revoyant faire de même avec elle il y a de ça quelques années. Puis une femme les rejoint, embrassant Richard et tous trois rentrèrent dans la maison. June resta figée, elle ne se réveilla uniquement lorsqu’une voiture freina violemment et se mit à klaxonner.
Elle regarda la voiture puis releva les yeux vers la maison. Il était à la fenêtre, regardant ce qu’il se passait. Ses yeux s’arrondirent lorsqu’il la vit. Ce fut un déclic et elle commença à rebrousser chemin.
« June ! » Elle se stoppa de nouveau, forcée parce qu’il la retenait par le poignet :
« June, c’est toi ? » qui cela pouvait bien être d’autre ?
« A ton avis ? A moins que t’aies une troisième fille ? » Répondit-elle froidement sans prendre la peine de se retourner pour lui faire face. Il la lâcha mais elle ne prit pas la fuite.
« June je t’ai… » « Ta gueule. Tu m’as oublié oui. T’as ton petit quotidien heureux maintenant. Désolée d’être venu le perturber. Ça n’arrivera plus. J’ai compris maintenant. » « June, tu ne comprends pas je suis tellement heureux de te revoir, tu as tellement grandi… » Elle se retourna et le gifla violemment. Elle ne comprenait pas ?! C'est lui qui ne comprenait rien, rien de ce qu'elle pouvait ressentir à cet instant même :
« Ta gueule ! Fais pas genre seulement parce que je t’ai pris de cours. Ça fait que me poignarder un peu plus. Tu m’as abandonnée. Tu m’as oubliée. A croire que j’avais besoin de ça pour vraiment m’en rendre compte. » Il ne dit rien, muet sous le choc et ses paroles dures. Elle le regardait avec une telle froideur. N’arrivant plus à supporter son regard triste elle reprit sa route, courant pour mettre le plus de distance entre lui et elle. Il l’appelait. Elle pleurait.
Elle passa quelques heures à errer dehors. Ne sachant où aller. Jusqu’à ce qu’elle reconnaisse le bâtiment devant lequel elle se trouvait. Le building où vivait Emma. Pourquoi ? Parce que ce soir, elle avait besoin d’une amie. Pas de son père. Pas de l’ignorance de sa mère. D’une amie pour l’écouter. Emma l’accueillit à bras ouverts, la réconfortant, l’écoutant. Si seulement elle avait su, à cet instant que ce n’était que de la fausse gentillesse…
Contradiction
« Tu vas demander quel lycée toi J ? » « J’en sais encore trop rien… » « Personnellement, je rêve d’aller à Stuyvesant depuis toujours ! » « Ah… » « Fais la demande avec moi ! On sera ensemble comme ça ! Puis on pourra préparer l’examen d’entrée ensemble ! » June sourit. Jamais personne ne lui a demandé de la joindre pour quoique ce soit. Mais Emma était son amie. Jamais elle ne se serait doutée que derrière ces belles paroles, elle ne faisait que la manipuler pour atteindre son but.
Emma et June ont donc fait une demande pour Stuyvesant. Les enseignants savaient que June avait le niveau, mais ils n’avaient pas hésité à exprimer leurs doutes concernant Emma. Loin d’être une bonne élève, June savait qu’elle devait ses bonnes notes à ses tricheries, mais n’avait jamais jugé, trouvant les enseignants trop bêtes de ne pas voir ses manigances.
« Ne vous en faites pas, June va m’aider, je vais y arriver ! » Ne cessait de leur répéter la jolie demoiselle. June se sentait utile, elle aimait ça, elle aimait réviser avec Emma, elle aimait s’évader avec elle et d’autres amis, s’imaginant ensemble leur nouvelle vie dans ce lycée si prestigieux. Au départ, June ne portait pas grande importance à ce choix de lycée, mais maintenant, elle désirait plus que tout y entrer…
L’examen d’entrée arriva quelques mois après. Emma serra fort June dans ses bras avant :
« On va y arriver ensemble n’est-ce pas ? Amie pour la vie non ? » Elle sentit sa tête opiner. Pourquoi ? Pourquoi y croire maintenant ? Encore une chose dont Emma est reine… Voilà qu’elle faisait rêver notre jolie blonde. Oh, elle l’a tant fait rêver… Tant…
June se rappelle du visage de son amie à la fin de l’examen, c’est ainsi qu’elle a su. Elle n’avait pas réussi…
« Je… Je crois que je n’aurais pas assez de points… » Encore une fois, June agit sans s’en rendre compte, elle le regrettera de suite, écoutant elle-même ses propres paroles alors qu’elles lui échappaient :
« Ne t’en fais pas, je crois que moi non plus je n’ai pas réussi. L’examen était beaucoup trop compliqué. Ce n’est pas un lycée d’élite pour rien… » Elle s’en voulait. Elle mentait. Il faut être immonde pour mentir à son amie non ? Mais, ça fonctionna. De suite, Emma retrouva le sourire, rassurée de ne pas être seule à avoir raté. C’est bras dessus, bras dessous qu’elles quittèrent l’endroit. C’est aussi bras dessus, bras dessous qu’elles allèrent voir les résultats. La dernière fois qu’elles seraient si proches…
La liste de noms s’étendait devant leurs yeux, June put lire le sien, un sourire illuminant un court instant son visage. Elle alla pour parler à Emma, mais l’expression de cette dernière la fit taire de suite. Pâle, ses yeux continuant de courir sur la liste, se remplissant lentement de larmes alors qu’elle chuchotait d’une voix éteinte :
« Je n’y suis pas… » Encore et encore.
« Emm-… » La gifle vint couper le souffle de June, son cœur manquant un battement
« POURQUOI Toi ? HEIN ?! » Cria-t-elle au milieu de la foule qui les regardait intriguée.
« POURQUOI TOI ?! » Répéta-t-elle en la poussant violemment.
« Dire que j’ai fait tout ça parce que tu as les meilleures notes… » « Je… » « TU QUOI ? As-tu l’intention de me consoler ? Qu’est-ce que tu peux être énervante ! Je suis sûre que tu m’as embrouillé plus qu’autre chose pour t’attirer tout le mérite, encore une fois ! » « Non j-… » « TAIS-TOI ! Sans toi, je suis sûre que j’y serai bien mieux arrivée ! J’aurai certainement réussi ! Il aurait mieux fallu que tu n’existes pas ! » Les yeux de June s’emplissaient de larmes alors qu’Emma lui jetait un dernier regard haineux, finissant avec dégoût :
« Tu as volé mon rêve… » Son visage détruit par la colère et la tristesse restant dans son champ de vision avant qu’elle ne parte chancelante et tremblotante. Elle n’avait pas réussi. Elle ne désirait qu’entrer dans ce lycée. C’était tout pour elle, et June n’avait pas su l’aider.
La jeune fille passa le reste de sa journée dans sa chambre, les mots de son amie résonnaient dans son crâne, perdant notion du temps, elle se rendit compte qu’il faisait nuit uniquement lorsque sa mère entra dans sa chambre :
« June, les parents d’Emma ont appelé, il semblerait qu’elle ne soit pas rentrée chez elle. Une idée d’où elle pourrait être ? … June, je te parle bon sang ! » Ces mots avaient foudroyé la jeune fille. Elle avait peur. Peur de ce que pouvait faire Emma. Elle se redressa d’un coup et sans prendre la peine de répondre à sa mère, s’élança dans les rues à la recherche d’Emma.
Elle courrait, cherchant dans tous ces endroits où Emma aimait traîner, elle l’appelait, hurlait son prénom, ne s’arrêtait pas. Elle était sur la route du lycée quand elle entendit les sirènes des ambulances la dépasser… Elle continua jusqu’à être arrêtée par une petite foule.
« Un suicide ? » « C’est une collégienne… » « Pourquoi est-ce arrivé ? » Le cœur de June s’arrêta alors qu’elle vit à travers les personnes attroupées, les ambulanciers s’affairer autour du corps… Puis, ils s’écartèrent l’espace d’une seconde. Une seule seconde. Seconde au cours de laquelle, June la vit… Elle gisait au sol, les yeux clos, du sang dégoulinait de sa plaie au crâne, se mêlant aux dernières larmes s’échappant de ses yeux.
Plus un bruit. Juste cette image de cette jeune fille. De son amie. D’Emma.
Scars
Elle ne sait pas comment elle est rentrée chez elle. Elle ne sait pas comment elle a réussi à se débarrasser de sa mère et de ses commentaires quant à son départ brusque. Elle ne se sait pas comment elle a réussi à arriver dans sa chambre et à s’y enfermer. Elle se souvient juste d’avoir eu envie de vomir en voyant toutes ces photos d’elles deux accrochées à ses murs, ou encore encadrées à son bureau. Elle se souvient avoir senti ses larmes couler de plus belle alors qu’elle se rendait d’autant plus compte de la chose.
« Ma faute… » Elle arrache toutes les images du mur, attrapant son cutter pour lacérer son visage à elle, se déchirant, se noircissant de chacune de ces images qui transpiraient un bonheur qui n’était plus. Tout ça était de sa faute.
« Tu as volé mon rêve. » Ses paroles résonnèrent dans son crâne alors que son regard croise le miroir sur sa commode.
« Ma faute… ma faute… ma faute… » Elle l’attrape et le lance à terre, ne supportant plus son reflet. Il se brise, le verre volant en éclats, l’un d’eux rebondit avant de venir la blesser à la paume. Douleur vivace, quelques gouttes de sang s’écoulent sur les photos déchirées à ses pieds. La douleur la calme, l’aide à respirer.
« Je veux disparaître. » Chuchote-t-elle en attrapant de nouveau son cutter.
Emma avait survécu. Son histoire avait beaucoup intrigué et inquiété. Elle guérissait lentement tant que June périssait doucement.
June passa son été dans sa chambre. Elle ne sortait plus. Elle ne mangeait que très peu ce que leur femme de ménage glissait à sa porte. Elle n’ouvrait plus son ordinateur qui débordait de messages de haine de ses anciens camarades. Elle ne vivait plus. Elle n’en pouvait tout simplement plus. Ce qu’elle faisait ? Ecouter sans vraiment écouter sa musique, lire sans vraiment lire, noircir encore plus son visage sur ces photos jonchant toujours son sol, cauchemarder en revoyant le visage presque éteint d’Emma, rajouter une coupure à chaque fois que la panique lui coupait de nouveau le souffle, oppressant un peu plus son cœur…
Bully
L’été arriva à sa fin et il fut temps pour June de sortir de sa chambre pour rentrer au lycée. Elle n’en avait en aucun cas l’envie. Elle n’y alla que pour échapper à sa mère qui devenait chaque jour insupportable.
D’autant plus mince, d’autant plus pâle, d’autant plus détruite, son avant-bras gauche la lançant à chaque fois qu’elle le recouvrait pour ne pas attirer l’attention de qui que ce soit, piqûre qui lui servait continuellement de rappel. Trop faible pour mettre fin à ses jours. Tout simplement.
Elle se détachait de tous en ce jour de rentrée, cadavre parmi les vivants, ombre se mêlant à tous ces visages si souriants. Parmi ces visages, certains lui étaient malheureusement connus. D’anciens collégiens, d’anciens amis qui déjà rependaient des rumeurs à son sujet. Non, pas des rumeurs… Elle était bel et bien celle qui avait poussé Emma au suicide. Ce n’était pas une rumeur. Ils allaient lui faire vivre un enfer, elle le savait, elle s’en doutait, elle le méritait. Elle passa devant eux, tête baissée pour ne pas avoir à affronter leurs regards durs de jugement, pressant son bras gauche. Piqûre…
Dès les premiers jours, l’intimidation fut lancée. La victime n’était autre que June et beaucoup participaient. Pas seulement ses anciens camarades, aussi d’autres qui ne la connaissaient pas, qui la jugeaient simplement par ce qu’ils avaient entendu d’elle. A raison sûrement… Jusqu’à ce qu’il arrive dans sa vie. Lui. Gregory…
Il était toujours si gentil avec elle, élève parfait, garçon parfait, ami avec tout le monde, allant même jusqu’à la défendre lorsqu’il assistait aux moqueries et mesquineries qui lui étaient dédiées. Il était là pour elle, il l’écoutait, elle n’y croyait pas. Aujourd’hui encore, elle se demande à quel point elle se devait d’être niaise pour avoir cru en lui… Pour avoir été si faible et s’attacher à lui. Il l’embrassa un jour… C’est sûrement ainsi qu’elle s’est mise à trop s’attacher. Seule contre tous, elle pensait pouvoir s’accrocher à lui pour s’en sortir. A tort…
Elle ne savait pas pourquoi il était avec elle. Mais après deux mois, la vérité la frappa en plein visage, finissant de briser ce qu’elle était. Le jour où Emma rentra dans le lycée. June s’en souvient parfaitement. Son ancienne grande amie avait été accueillie par tous avec des sourires et tant d’attention. Comment elle était rentrée ? Par pitié certainement. Après tout, elle avait justifié son geste, clamant une dépression suite à des persécutions au collège. Vous vous doutez bien des nouvelles rumeurs à l’encontre de June et de ces persécutions non ? A cet instant précis, elle essaya d’attraper la main de Gregory, en vain. Elle leva son regard vers lui, un sourire horrible était installé sur son visage. Il s’éloigna d’elle pour aller aussi à l’encontre d’Emma, attrapant sa main à elle.
Menteurs…
La bêtise de June la frappa alors.
« Il ne sort pas avec l’autre imbécile ? » Elle n’avait jamais su pourquoi il était avec elle, elle le découvrait maintenant à regret. Tout cela n’était que mensonge, tromperie pour mieux la blesser.
« Mais j’ai entendu dire qu’il a été vu quittant la maison d’Emma… » Elle les voyait ensemble, se pavanant ce couple parfait et ça la blessait. Elle n’en était pas amoureuse, mais il était sa bouée, son confident… Un autre traître…
« En fait, ça parait logique. Un mec comme lui avec une plaie comme elle… » « C’est clair ! » June était frustrée, ces paroles ne l’aidaient en rien. Elle pleura en traversant le couloir et c’était d’un gênant étouffant.
Piqûres…
Agony
June allait bien, jusqu’à ce qu’elle se réveille. La musique qu’elle écoutait avant de s’endormir était son seul échappatoire, les livres qu’elle dévorait l’étaient aussi. Seul et unique moyen pour la jeune fille de rêver et non faire des cauchemars la replongeant dans les malices de ses camarades.
Un an avait passé. Un an. Et ils n’avaient cessé de s’acharner sur elle… Dès que June s’éveillait, elle replongeait dans la noirceur de sa réalité, elle était happée par le sourire froid et sadique d’Emma. Mais elle devait se lever. Elle devait aller au lycée. À l’abattoir… Elle ne parlait plus à sa mère. Un jour, alors qu’elle avait passé la journée à subir coups et moqueries, elle avait essayé de lui dire, mais cette dernière n’avait même pas décroché son regard de son magazine, n’avait pas remarqué la fissure zébrant la lèvre inférieure de sa fille, elle s’était simplement contentée de lui répondre :
« Ils se moquent de toi parce qu’ils sont jaloux, c’est tout. » Sauf qu’on ne le fait pas à June. Ils ne sont pas jaloux. Ils ne l’aiment pas. Du tout. C’est aussi simple que ça.
Elle avait cru que ce harcèlement cesserait avec le temps. Qu’ils se lasseraient… Mais Emma était là pour raviver les foudres et rendre chacun de ses petits pions plus imaginatifs. Au départ, ce n’était que rumeurs, qu’affichage de papier indiquant ‘June a poussé son amie au suicide’, railleries et moqueries. Que des mots, ils n’en étaient pas moins blessants. Elle endurait alors, sachant qu’elle le méritait sûrement. Mais les violences ont commencé… N’est-ce pas trop ?
Ils ont commencé à la maltraiter, à la bousculer, à s’emparer de ses affaires, à les dégrader, mais ce n’était pas fini. Au fil des mois, les échelons étaient montés. Gifles, coups de poing, de pieds, jet d’eau… Jusqu’aux brûlures. Emma se penchait sur elle, deux de ses nouvelles amies maintenant June, une cigarette grésillant entre ses doigts fins, entrouvrant le col de June pour découvrir sa poitrine, son cœur.
« Après tout ce que tu m’as fait, si on est amies, tu peux bien supporter ça non ? » Riait-elle avant d’écraser la cigarette sur la peau de sa soi-disant ‘amie’, s’amusant de voir June tenter de se dégager, son cri de douleur étouffé par la pression d’une main alors qu’elle sentait les cendres faire fondre sa peau fine.
« P-Pourquoi tu fais ça ? » Osa un jour demander June, haletante :
« Parce que c’est drôle de te persécuter J. On est amies non ? » « Si c’est ça que t’appelles l’amitié, alors je n’ai pas besoin d’amis. Je préfère être seule que de me faire des amis tels que toi… » Ce fut la seule fois que June osa dire quelque chose. En récompense, le pied d’Emma vint cueillir son estomac, lui coupant le souffle alors que l’idole du lycée crachait :
« J’ai envie de vomir à chaque fois que je vois ton visage. »En ce jour de décembre, elle n’assista pas aux cours, sa poitrine la brûlait trop, elle n’arrivait pas à respirer, elle ne supportait plus de les voir. Elle avait besoin d’air… Son échappatoire ? Le toit du lycée. À son sommet, elle se laissait aller, regardant les passants, les étudiants vivre leur vie comme si de rien était. Aucun d’eux ne comprendra à quel point cela fait souffrir… Aucun d’eux ne viendra lui tendre la main.
« Ce ne sont que des cons après tout. » Soupira-t-elle, pensant être seule.
« Ben je t’en prie ! » Râla-t-il, la faisant sursauter.
C’est ainsi qu’elle le rencontra, alors qu’il était adossé derrière elle, à fumer sa clope, un sachet de caramels au beurre salé dans une main. Ce garçon qu’elle n’avait encore jamais remarqué et qui pourtant allait changer sa vie. Nolan.
I believe in you
Elle le dévisageait, lui aussi. Quelque chose se dégageait de lui, une certaine prestance bien qu’il ait la dégaine d’un lycéen rebelle. Il l’intriguait. Non. Elle ne devait pas se laisser de nouveau happer. Elle ne devait pas faire de nouveau confiance. Ça lui avait déjà trop coûté la première fois…
C’est pour cette raison qu’elle partit sans dire un mot. Détachant, quoiqu’à regret, son regard du sien. Fuyant. Elle n’était bonne qu’à ça apparemment… C’est à partir de ce jour qu’inconsciemment, elle le remarqua un peu plus. Toujours en retrait, se mêlant très peu aux autres, ne semblant pas avoir d’amis et sans jamais prendre part aux persécutions dont elle était victime. Bien au contraire. Étrangement, il prenait sa défense.
« Hé J, tu viens aux toilettes avec nous ? » Emma était là, face à elle, accoudée à son bureau pour ne pas la laisser filer entre ses doigts. June tentait au mieux de ne pas croiser son regard, sachant parfaitement qu’elle y lirait ce qu’elle et ses amies lui réservaient. Jet d’eau ? Coup de serpillière ? Lui faire bouffer du papier toilette peut-être cette fois ? Elle était si fatiguée… Pourtant, elle allait pour se lever, sachant parfaitement que si elle ne le faisait pas, alors ce serait pire… Quand soudain, il prit la parole.
« Vous pouvez pas y aller seules ? Même un élève de primaire sait pisser par lui-même... » Elle leva enfin les yeux. Nolan était là, à regarder Emma et sa troupe, un sourire mesquin au visage. Il y eut quelques petits rires qui s’estompèrent bien rapidement. Qui voudrait se mettre Emma à dos ? Cette-dernière tournait rouge pivoine, humiliée par ce type qui osait se mettre en travers de son chemin. À cet instant, June eut presque peur pour lui, mais lui ne semblait en rien effrayé par la minette… Pourquoi faisait-il cela ?
Mais elle s’interdit à espérer. Elle s’interdit de le voir autrement. Elle s’interdit à avoir confiance. Piqûre… Elle tenta d’oublier, de passer outre, mais cette scène resta malgré tout dans son esprit. Et cette question aussi. Pourquoi ?
« Tu ne vas pas faire ta cafteuse hein ? » Gueulait le lycéen de sa voix criarde. Ils s’amusaient, lui et deux de ses amis, à la bousculer et lui lancer des ordures.
« Je ne suis pas une gamine, moi. » Dit-elle en les foudroyant du regard. Elle ne les connaissait pas, mais cela n’empêchait en rien qu’ils s’en prennent à elle. Pauvres moutons qu’ils étaient… Le garçon n’apprécia que très peu le regard qu’elle lui accordait et la gifle la renvoya à terre. Elle s’attendait à recevoir d’autres coups, lorsque sa voix retentit de nouveau, lui faisant ouvrir de grands yeux ronds.
« Elle n’a pas besoin de cafter, c’est pas très difficile de trouver des connards de votre espèce dans ce foutu bahut… » Elle releva la tête, Nolan était derrière le petit groupe, adossé à un mur, les contemplant.
« Qu’est-ce que tu veux Nolan ?! » Gueula de nouveau le type, une pointe de peur teintant l’intonation de sa voix.
« Ce n’est pas parce que personne ne vous a arrêté jusqu’à aujourd’hui que ça veut dire que vous pouvez faire tout ce que vous voulez. Vu que vous n’avez pas capté ça comme des grands, je suis là pour vous arrêter. » Ils allèrent pour se jeter sur lui, mais il eut le dessus, June contemplant la scène de ses yeux ébahis. C’était la première fois que quelqu’un la protégeait, se battait pour elle, et elle ne savait pas vraiment quoi en penser.
« Hé, June, tu vas bien ? » Il était accroupi en face d’elle, enlevant quelques déchets restant dans ses cheveux. Elle restait muette un instant, n’y croyant pas vraiment. Puis elle le repoussa, essayant de reprendre contenance avant de lâcher :
« Pourquoi tu m’aides ? Tu n’as pas entendu que j’ai poussé une amie au suicide ? » C’était la seule justification qu’elle trouvait aux traitements qu’on lui accordait. La vengeance d’Emma… Il avait dû en entendre parler. La rumeur ne s’était pas éteinte depuis sa première année dans ce bâtiment de renom.
« Ce n’est pas de ta faute. » Elle crut mal entendre, relevant un regard interrogatoire à l’attention de son soi-disant sauveur :
« Hein ? » « Ce n’est pas de ta faute. Seuls les faibles agissent de la sorte. » « Les faibles… » Instinctivement, elle vint toucher son avant-bras qui la lançait encore :
« Je suis faible alors. » Dit-elle à voix basse, ces mots étant plus pour elle qu’à son attention
« Oui, enfin du moins t’essaies de t’en convaincre. Ouvre les yeux, tu verras que t’es bien plus que tous ces imbéciles. Je crois en toi. » Elle releva de nouveau les yeux vers lui pour lui découvrir pour la première fois un sourire sincère. Une magnifique esquisse…
The taste of caramel
« Tu n’as pas un vrai sourire, tu sais… » Ils étaient tous les deux sur le toit, grignotant des caramels au beurre salé qu’avait encore une fois volé Nolan. Un bleu dessinait l’œil de June, mais elle n’avait pas mal étrangement… Nolan était de plus en plus présent pour elle, c’est peut-être pour ça que ses bourreaux se montraient plus violents, déçus que quelqu’un vienne mettre des bâtons dans leurs roues… Elle souriait à une blague qu’il lui avait faite avant qu’il ne fasse cette remarque.
« Pardon ? » « Tu n’as pas un vrai sourire. Ne fais pas comme si tout allait bien. Comme si tu n’étais pas touchée. Tu ne dois pas faire semblant. » Comment parvenait-il à lire aussi bien en elle. C’en était presque énervant. Il avait raison, elle n’allait pas bien. Elle allait mieux, elle pouvait respirer avec lui, mais l’inquiétude et la peur étaient toujours là… Elle baissa les yeux. Comment faisait-il…
« Ne fais pas semblant avec moi, compris ? » Ajouta-t-il en entourant ses épaules de son bras. Au pourquoi s’ajouta le comment… Tant de mystère en lui…
« Tu sais, June, on ne peut rien changer à moins que tu n’agisses. » Elle soupira, ce n’était pas la première fois qu’il lui faisait cette remarque. Elle voulait agir, mais elle était trop faible.
« Ce n’est pas vrai. Personne ne se sent concerné par la vérité. » Sa mère ne prêtait toujours aucune attention à ses blessures, pensant simplement que June n’était pas douée en skate ou au sport :
« Continue de penser comme ça et jamais tu n’avanceras. » « Que veux-tu… Tout le monde détourne le regard quand quelqu’un appelle à l’aide. » Il la força à lever la tête pour plonger son regard dans le sien, sourcil froncé, frustré qu’elle ait oublié quelque chose d’aussi important :
« Pas tout le monde. Je n’ai pas détourné le mien non ? » Elle leva les yeux au ciel, avant de contrer avec un petit rire :
« Je ne t’ai pas appelé à l’aide que je sache… » « Rah… Toujours envie d’avoir le dernier mot hein ?! » Dit-il en lui ébouriffant les cheveux d’un air amusé, avant d’avaler un nouveau caramel et d’en donner un à June. Bientôt le sérieux reprit le dessus. Il n’en avait pas fini. June n’a jamais aimé qu’on lui fasse la morale, pourtant, Nolan savait toujours trouver les mots justes…
« Il faut que tu comprennes, June, qu’il n’y a que toi qui puisses changer ton avenir. » Mais malgré ces mots, le doute persiste encore et encore, tiraillant la jeune fille
« Nolan… Est-ce que, pour une fois, tu pourrais essayer de ne pas me faire la leçon s’il te plaît… » « Non. Tu veux continuer comme ça, à subir, ou tu veux relever la tête et montrer à qui ils ont vraiment à faire ? Montrer qui tu es vraiment et commencer à rendre un peu les coups ? » Elle laissa échapper un soupir, peut-être avait-il raison, mais… Il y a toujours un mais :
« Parce que tu m’en crois vraiment capable ? » « C’est pas une question de croire, je le sais, tout simplement. Puis arrête d’être têtue comme ça. Comment peux-tu rester de marbre avec tout ce qu’ils te font bouffer chaque jour ?! » Il s’emportait, première fois qu’il s’acharnait de la sorte sur elle. Elle n’avait pas peur de lui contrairement à beaucoup… C’est pourquoi elle affronta son regard. Elle gagnait confiance avec lui, même s’il continuait de lui ressasser de se battre, de ne pas se laisser vaincre et peut-être même de penser qu’elle restait négative, intérieurement, elle changeait, elle évoluait et elle le lui devait…
« Sache une chose, Nolan, je me fous que tout le monde me déteste. C’est clair ? » « Juste pour ton information, June, je ne te déteste pas. » Elle allait pour rire, mais il avait une telle intensité dans son regard qu’elle ne dit rien, s’y perdant. Pour une fois, elle arrivait enfin à lire en lui, lui qui reste si secret et mystérieux. Pour une fois, il s’ouvrait à elle. Pour la première fois, elle lisait dans son regard toute la tendresse qu’il ressentait à son égard. Il resserra son étreinte, l’attirant vers lui sans réellement s’en rendre compte. L’envie dépassant la raison.
Leur premier baiser avait le goût si doux et intense du caramel, et quand ils s’éloignèrent l’un de l’autre, Nolan sourit en remarquant que June souriait pour la première fois. Du moins avait-elle un vrai sourire pour la première fois…
« Tu as un sourire à mettre fin à la guerre et à soigner le cancer, tu sais ? »
Emptiness
June se souviendra éternellement du jour de ses dix-sept ans. Le pire jour de sa vie. Le dernier aussi…
Malheureusement, elle se devait d’aller au lycée, préparée à affronter une journée comme les autres, sachant que Nolan ne serait pas présent aujourd’hui, elle ne l’avait pas blâmé, elle ne lui avait jamais dit quand était son anniversaire. Elle s’était décidée à faire face, à ne pas se laisser marcher sur les pieds, à ne pas se laisser faire, pour lui, pour elle… Mais ce qu’elle ne savait pas, c’était qu’Emma avait remarqué le bonheur de June, et elle ne le supportait pas… June avait baissé sa garde, s’était habituée à ce train de vie et pensait en rien que pire pouvait arriver…
Tout s’est déroulé très vite. Un instant June traversait le couloir des salles de lecture, l’instant d’après quelqu’un l’attrapait, l’empêchant de crier, pour la forcer à rentrer dans une salle et fermer la porte à sa suite. Gregory était face à elle, ce même sourire terrible déformant son visage… June sentait qu’il préparait quelque chose de mauvais… Et elle ne savait comment lui échapper…
« Qu’est-ce que tu me veux Gregory ? » Cracha-t-elle, gardant ses distances.
« Voyons ma belle, j’ai pas le droit de t’offrir un cadeau pour ton anniversaire ? Puis je dois avouer que je n’aime pas beaucoup que tu t’intéresses à quelqu’un d’autre que moi… » Finit-il dans un grognement, faisant allusion au rapprochement entre elle et Nolan qui n’était pas passé inaperçu. June n’était en rien rassurée et préférait couper court à cette conversation.
« Qu’est-ce que ça peut te faire… » Elle alla pour ouvrir la porte. Elle était barrée. Elle essaya de nouveau, en vain.
« C’est vraiment cruel de vouloir me quitter de sitôt… » Susurra-t-il a son oreille, la faisant sursauter. Elle tenta de le repousser, en vain, il était bien plus fort… Elle se retrouva au sol, continuant de se débattre, mais l’une des mains de Gregory vint bloquer ses poignets pour mieux les lier. La pression rouvrit ses cicatrices, tachant ses manches claires :
« Tiens, tiens, qu’est-ce qu’on a là… » Remarqua-t-il, découvrant les mutilations de la jeune fille :
« Et bien ma belle ? On est pathétique à ce point ? » Elle alla pour crier, appeler à l’aide, mais la pression de la main du garçon l’étouffait et la dégoûtait encore plus.
Elle sentait les larmes emplirent ses yeux alors qu’il la découvrait de ses vêtements, se sentant si vulnérables et si effrayée. Mais le pire restait à venir… Il sortit son portable et dit, avec ce rire écœurant s’échappant de sa gorge :
« Souris voyons ! Pour une fois que quelqu’un touche un cadavre comme toi… » Le flash l’éblouit. Elle paniquait définitivement, mais il semblait qu’un peu plus s’en amuser. Il se pencha de nouveau sur elle, lui montrant l’image :
« Qu’est-ce que penseront les autres en voyant ça… Enfin, on aura tout le temps d’y penser plus tard… » Elle étouffait, elle voulait crier, elle voulait s’échapper, elle voulait le tuer. Mais elle était si faible…
June parvint à rentrer chez elle le soir, sa mère déjà peu contente de son retard, finit de partir dans les aigües en la voyant revenir en loques. Mais June ne prêta pas attention à elle et monta dans la salle de bain pour s’arrêter devant le miroir.
« Faible… » Elle prend une lame. Piqûre.
« Faible. » Piqûre… La douleur la pique, elle remarque le sang sur ses doigts, le fixe un long instant avant de faire glisser sa main sur son reflet dans un grincement.
« Si faible. » Elle pleure.
Elle passa une bonne partie de la nuit sous sa douche, tentant d’effacer les traces que Gregory avait laissées sur son corps, tentant de ne plus ressentir sa présence sur elle, en elle, tentant de tout effacer. En vain. Puis elle alla pour se coucher, mais trouva le lit bien trop confortable pour son état, elle se recroquevilla donc par terre, sur le dos, les yeux grands ouverts, revivant ce qu’il lui était arrivé, elle ne trouva pas le sommeil, elle n’arriva pas à cesser ses larmes non plus…
Tired
Elle rata la première heure de cours le jour suivant, jusqu’à ce que sa mère ne vienne l’importuner et la force à aller au lycée. Quand elle arriva ce fut pour reprendre son train de vie quotidien. Jusqu’à ce qu’elle croise la route de Gregory…
« Pourquoi tu ne dis pas ce qui s’est passé entre nous ? Ah ! Je suppose que c’est parce que personne ne te croira ! Tu n’as pas d’amis… » Lui souffla-t-il à l’oreille, donnant à June une forte envie de vomir et de s’enfuir :
« Puis j’imagine la tête de ton petit copain s’il apprend que je suis passé avant lui. » S’en était trop. Elle le gifla, les larmes aux yeux avant de partir en courant. Elle avait besoin d’air… Et d’une piqûre…
« Va vraiment falloir que tu perdes cette habitude… » Nolan était là. Elle ne l’avait pas entendu arriver. Elle refusa son baiser, détournant la tête, mais il ne s’emporta pas, pensant sûrement qu’elle le punissait pour sa remarque. Il parlait, mais elle ne l’écoutait pas, se contentant de baisser la tête pour que ses longs cheveux dissimulent ses yeux embués, pour qu’il ne la voie pas, elle qui se sentait si sale.
« Dis, tu veux venir chez moi ce soir, j-… » Commença-t-il, entourant sa taille d’une main, la seconde sur sa cuisse, allant pour lui baiser le cou. Elle l’aurait laissé faire. Mais elle était si sale. C’était trop tôt. Elle se sentait si mal. Il allait deviner, il allait lui en vouloir. Alors, elle le repoussa. Trop violemment sûrement, à moins que ce soit son air effrayé qui le mit dans une telle humeur, ou la froideur et la distance dont elle faisait preuve depuis qu’il était arrivé… Quoiqu’il en soit, il parut touché, blessé… :
« ça va, pas besoin d’avoir l’air si dégoûté… » Il était vexé, se leva et s’éloigna d’elle, la laissant seule sur le toit du lycée. Elle le regarda s’éloigner, essayant de l’appeler pour qu’il revienne, mais aucun son ne sortait de sa gorge nouée. Elle n’arrivait pas à mettre des mots sur ce qu’elle ressentait, sur ce qu’il lui était arrivé et elle le regretta, car c’est à cause d’elle qu’il s’éloignait à cet instant. Ce soir-là, pour la première fois depuis l’arrivée de Nolan dans sa vie, June rentra seule chez elle. Il ne la raccompagna pas. Finissant de lui briser le cœur. Chaque pas lui semblant bien plus long, route interminable et monotone.
Elle pleurait de nouveau. Elle n’y arrivait plus. Elle était fatiguée, épuisée. Elle ne cessait de revoir Gregory, elle ne cessait de voir tous ces camarades se moquer, lui dire de disparaître, de mourir, chanter à quel point elle est inutile, elle revoit Nolan lui tourner le dos, elle se sent seule. Elle n’en peut tout simplement plus.
Elle ne se rend pas compte de combien de pilules elle ingurgite. Elle ne les compte pas. Elle regarde simplement la boîte se vider lentement. Elle n’en peut plus. Elle veut dormir. Elle veut éteindre son cerveau. Ne plus penser. Ne plus voir. Ne plus rien. Juste le néant. Le vide. Le paradis. Elle avala la dernière pilule avant de s’allonger, le parquet frai accueillant ses larmes. Elle n’en peut plus…
I'll protect you
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