Il y a 29 ans, Bartlett Regional Hospital, Juneau. Les cris d’une femme percent dans l’hôpital. Son ventre arrondi la tiraille. Elle est seule, il n’est pas avec elle, elle devrait s’y être habituée, pourtant, c’est aujourd’hui qu’elle a le plus besoin de lui. De cet homme terrible auquel elle a accordé son amour, auquel elle a fait l’erreur de s’attacher sans parvenir à se rendre compte de l’horreur dans laquelle il l’a plongée. Elle avait été heureuse quand elle l’avait rencontré, elle avait été aussi très niaise de tomber dans ses bras, de rougir à chacune de ses paroles, de croire qu’il l’acceptait pour ce qu’elle était, malgré ses hauts et ses bas violents, elle s’est laissée envoûter par cet homme qui ne la regardait pas vraiment. Il la manipulait, tout simplement, par pur plaisir, par pure envie, par simple désir d’avoir une jolie minette à son bras, de la berner et de l’exploiter comme bon lui semble. Retournant son trouble contre elle-même, ne cessant d’affirmer que jamais personne ne l’accepterait comme il le faisait.
Elle avait été emplie de joie lorsqu’ils s’étaient mariés, elle avait été trompée, n’ayant pas prêté attention à ce masque qu’il affichait, pensant bêtement qu’ils vivraient une vie heureuse et ce, même s’ils n’avaient pas les meilleures conditions de vie. Elle se voilait la face, pensant que tant qu’ils s’avaient l’un et l’autre, alors ce serait suffisant. Mais, il est à l’origine de bon nombre de ses crises… Elle a flanché aux premières disputes, elle a pleuré aux premiers coups, elle s’est faite petite au fur et à mesure, elle a retrouvé son punch sans savoir comment. Elle n’est pas partie. Elle aurait dû. Mais elle n’était pas normale, elle ne se considérait pas comme telle. Et malgré cela, mais il l’acceptait, il l’avait épousée, ce devait bien être parce qu’il l’aimait, non ? Pourtant, lorsqu’on aime quelqu’un, on ne le détruit pas, et lui, il a détruit sa jeunesse à elle…
Combien de fois est-elle passée de la joie aux pleurs à ses côtés ? Combien de fois son humeur a-t-elle fléchie ? Parfois active comme jamais, un sourire radieux aux lèvres, puis, d’autres fois, dans un claquement de doigts, elle semblait éteinte, emprise d’une tristesse profonde et malsaine. Voilà ce qu’elle était, bipolaire, sans même connaître le terme, sans même consulter, sans vouloir ouvrir les yeux, sans se rendre compte qu’il n’était en rien bon pour elle, qu’il ne faisait que l’enfoncer un peu plus dans son trouble qu’autre chose.
Elle n’en peut plus, elle se sent faiblir, et pourtant, elle ne peut pas abandonner, elle ne doit pas abandonner… Voilà neuf mois qu’elle les porte, qu’elle caresse son ventre rond, qu’elle se les imagine, qu’elle les voit et qu’elle en rêve. Qu’elle se laisse bercer par cette promesse d’une vie meilleure. Elle avait été heureuse d’apprendre être enceinte, elle espérait tant que cela éveillerait de nouveau l’affection de son époux distant et violent. Elle pensait que ses deux petits la répareraient, qu’ils étaient juste ce qu’il lui manquait pour être enfin normale. Qu’ils étaient sa solution. Elle en était persuadée. A moins que ce n’ait été qu’un vain espoir… Elle les avait portés, les avait chéris, leur chuchotait des mots réconfortants lorsque la colère de l’homme explosait. Ils étaient ses trésors sans même être nés, deux petits êtres qui lui permettaient de rêver de nouveau… Et elle rêvait, elle se perdait dans son image utopique d’une petite famille joyeuse, d’un père retrouvant de la tendresse et de la gaieté en courant après ses enfants, d’une mère heureuse qui sourirait à chacun de leurs éclats de rire. Elle rêvait… C’est sûrement ce qui lui a permis de les mener à terme. Sa détermination et son désir d’une nouvelle vie leur permettant de survivre…
Elle criait, les larmes venaient mouiller son visage crispé sous l’effort. Puis, au bout de plusieurs heures de travail interminables, ses cris se sont apaisés au profit de pleurs d’enfants. D’abord, un premier, vif et hurlant à la vie. Ma petite personne. Puis, un second, plus chétif aux cris plus faibles. Mon frère. Ses deux petits qu’elle regardait avec amour. Nous maintenant contre elle de ses bras tremblotants et affaiblis, caressant nos joues, déposant de faibles baisers sur nos fronts pour ne pas nous perturber. Nous étions enfin venus au monde. Ses deux petits princes, ses deux réussites.
Il n’est venu que le lendemain. Quand il est entré dans la chambre, elle l’a regardé de ses yeux pleins d’espoir et de fierté. Mais son regard à lui n’avait en rien changé. Il se contenta de la regarder de haut, de faire de même pour nous, en rien affecté par la situation. Au départ, elle parlait vite, s’emmêlant dans ses mots, essayant de décrire la joie intense qu’elle ressentait. Puis, d’un coup, les larmes la prirent de nouveau, sans crier garde, son ton enthousiaste se transformant en cris qui ne firent qu’intensifier l’air ennuyé du mari. Elle s’était trompée, ses deux trésors ne la sauveraient pas du malheur. Elle nous avait tout simplement plongés dedans avec elle…
Mais cela, nous ne le savions pas encore, nous lovant contre notre mère, appréciant sa chaleur, inconscients de ce que la vie allait nous réserver. L’homme restait sur le côté, jugeant ses petites choses dont il se serait bien passé, visiblement déçu qu’ils aient tenu le coup, ces deux misérables enfants que nous étions à ses yeux, se rendant compte qu’il aurait désormais deux bouches de plus à nourrir et que cela ne l’arrangeait en rien… Mais son air dégoûté finira bien rapidement par changer quand il trouvera moyen de nous exploiter, nous-aussi, ses pauvres enfants.
« Alors, vous avez décidé de prénoms pour ces petits trésors ? » Demanda la sage-femme en entrant, regardant les deux petits, caressant attendrie le crâne du plus discret de nous deux. Elle osa un regard vers le père, mais n'eut droit en réponse qu'à un air fermé et froid.
« C'est pas à moi qu'il faut demander. » Ajouta-t-il avec froideur certaine. La sage-femme fut surprise puis se tourna vers la mère, un air désolé au visage, les joues rosies par la gêne. La mère caressa la joue du plus jeune :
« Il s'appelle Miles Isaac James Malchior. » Les deux seconds prénoms se référant à son père et son grand-père. Puis elle caressa ma main, mes doigts se refermant sur les siens alors qu'un sourire vint apaiser ses traits :
« Et lui, Maxence Jeffrey Henry Malchior. » Levant un regard vers son mari, espérant qu’il serait touché de voir qu’elle m’accordait son prénom et celui de son père. Je m’en serais bien passé. Mais rien. Encore une déception. Encore un vif rappel à la dure réalité. Il ne changera pas. Il ne changera jamais.
Il y a 21 ans, Salmon Creek, Juneau. De nouveau, les cris font vibrer les murs de notre petite demeure. Pourquoi gueule-t-il encore ? On n’en sait rien, on baisse simplement le regard, on évite de croiser le sien, empli de haine et de violence. Notre mère pleure, elle ne fait que cela, pleurer, encore et encore, sans arrêt, si bien que ses traits sont tirés, fatigués, sa peau est blafarde, si ce n’est là où il l’a frappée, où il l’a serrée, où il l’a balancée. Elle se protège les oreilles, recroquevillée sur elle-même, évitant de nous regarder. Nous sommes aussi pâles qu’elle. Nous avons aussi ses traces sur nous. Miles garde les yeux au sol, me serrant la main. Quant à moi, je la regarde elle. Cette femme qui nous a mis au monde. Espérant qu’elle fasse quelque chose. Nous sommes là à cause d’elle. Après tout, n’est-ce pas sa faute si nous nous retrouvons tous deux, Miles et moi, face à ce monstre gras et postillonnant au moindre éclat de voix ?
Je la regarde, je lui en veux, je serre la main de mon frère, nous avons peur, nous n’avons que huit ans. Je la regarde, la supplie du regard afin qu’elle intervienne, la foudroie pour sa faiblesse, lui en veut tellement de nous avoir infligé cela. Je jette ensuite un rapide coup d’œil à ce qui nous sert de père. Comment un homme aussi terrible peut-il être père ? Il empeste l’alcool et la crasse, mal entretenu, il ne semble être heureux de nous avoir uniquement lorsqu’on peut lui servir de défouloir…
« Baisse les yeux Miles ! » Mais ce n’est pas Miles qui a les yeux fixés sur lui… Il ne sait même pas nous distinguer lorsqu’il est dans cet état, c’est à se demander s’il ne pense pas voir double seulement à cause de l’alcool et des drogues… Je baisse les yeux de suite. Ne me faisant pas prier. Mais c’est déjà trop tard. Le coup part, sa main gauche venant violemment frapper ma joue droite, me faisant valser sous la force de son geste, serrant d’autant plus fort la main de mon frère. Sentant sa prise s’affirmer de même sur la mienne. Nous le haïssons. Il n’est pas notre père. Il ne nous voit pas comme ses fils. Il n’est rien. Nous non plus…
Une heure plus tard, il s’en va, claquant la porte derrière lui. Miles et moi sommes à terre, les gifles qu’il nous a assené nous brûlent les joues, les larmes emplissant nos yeux sous la douleur. Mais nous tentons au mieux de les retenir, nous ne voulons pas pleurer, pas comme elle. Nous voulons grandir, Miles le souhaite pour pouvoir s’enfuir, personnellement, je veux être suffisamment fort pour le repousser, le frapper à mon tour, laisser s’extérioriser toute ma haine à son égard. Mais Miles n’est pas celui empreint de violence… Il m’en a toujours abstenu. Il sait. Lui seul sait ce que je suis. Ce que j’ai découvert. Ces pouvoirs… Cette magie. Elle est apparue comme ça, sans crier garde, sans que je comprenne. Notre mère m’a vu. Ce fut tout d’abord un émerveillement exagéré qui la prit, disant que j’étais comme sa mère avant elle. Un sorcier. Je n’avais rien compris. Tout ce que je voulais savoir c’était si cette magie si fabuleuse à ses yeux pouvait me permettre de nous débarrasser de cette tare qu’est notre père. L’émerveillement céda la place à une panique incontrôlable. Ma mère dans toute sa splendeur.
« Non. Non, non, non. Maxence tu ne peux pas, tu ne dois pas, ne fait pas le mal avec ces pouvoirs ! Chéris-les ! Ne lui fait pas de mal. Il ne sait pas ce qu’il fait. Il nous aime au fond. Hein ? Tu le sais, n’est-ce pas ? Hein ? Maxence ? » Mais je ne l’écoutais pas, ne regardant que mon frère, que Miles. Nous sommes restés silencieux, je savais ce qu’il allait dire.
« Je ne veux pas que tu fasses du mal Max… Ne t’en fais pas… ça va aller. » Et il suffit qu’il m’attrape la main pour que je me calme. C’était toujours suffisant. A cette époque.
Je veux m’enfuir aussi… Mais nous ne sommes que des enfants, alors on se console l’un l’autre, pleurant en silence alors qu’il ferme brutalement la porte derrière lui, filant retrouver des forces dans le bar du coin ou très certainement se faire de l’argent en vendant quelques sachets. Notre mère accourt et nous ausculte, pleurant de plus belle en voyant nos joues maltraitées, les marques rougissantes sur nos bras et nos regards sérieux, emplis de larmes que nous tentons vainement de laisser couler.
« C’est bien Maxence, tu as réussi, c’est bien Maxence ! Tu n’as pas trop mal ? Et toi Miles ? Mes pauvres chéris… Vous êtes si forts… » Elle nous félicite de ses grands yeux à la fois baignés de joie et de peine. Elle nous serre contre elle, mais nous avons mal, partout, mais surtout au cœur. Je n'ai même pas la force de la repousser alors qu'elle gémit :
« Mes petits... J-Je suis tel... Tellement désolée. » Mais nous n'ajoutons rien. Si elle était désolée, alors pourquoi n'agissait-elle pas ? Pourquoi le laisser nous infliger cela ? Pourquoi rester ? Pourquoi continuer de croire qu’il changera ? Est-elle donc aveugle à ce point ? Nous ne pouvons pas compter sur elle et ça nous le savons que trop bien.
A l’école, Miles et moi sommes inséparables, discrets, nous ne nous mélangeons que rarement aux autres, on se moque de nous, on essaie de nous approcher, on nous mélange, on nous questionne sur nos blessures que nos vêtements trop larges ne cachent pas toutes. Mais nous ne pouvons compter sur personne n’est-ce pas ? Sinon quelqu’un nous aurait déjà tendu la main non ? Ce n’est que Miles et moi contre le reste du monde, c’est cela ? Alors nous nous éloignons, nous ne répondons pas, ça ne plaît pas, alors il arrive que nous nous battions contre d’autres enfants pour justifier certaines de nos plaies, Miles s’y adonnant de plus en plus, n’aimant pas les voir m’attaquer sans rien faire. Voilà notre manière d’extérioriser notre colère, par la violence. En cela, on ressemble à notre monstre de père, n’est-ce pas ?
Ils ont rapidement appris à faire avec nous, à ne pas être trop curieux pour que l'on ne se braque pas et qu'on ne réponde pas violemment. Si bien que l'école est presque devenue un endroit agréable pour nous, nous apprenions dans le silence, nous permettant d'être des enfants de temps à autre. Nous permettant de rêver quelque peu, d'oublier, l'espace d'un instant, l'horreur de notre demeure familiale. Et ce, même si nous nous devions d'y retourner tous les soirs...
Il nous arrivait de nous échapper, de fuir la tension et la peur condamnant l'air de notre chez nous. Alors, Miles et moi partions pour la forêt, notre bicoque retapée se trouvant à la lisière. Nous l'explorions, sans prêter attention au froid qui gelait nos joues, nous emmitouflant, apprenant à nous débrouiller. C’est alors que je me laissais user de ma magie, il me plaisait tant de faire sourire Miles, de voir des étoiles dans ses yeux devant les tours que je parvenais à faire. C’est ce qui lui plaisait, me voir user ma magie de la sorte. Nous ne comprenions pas tout du surnaturel, nous avions questionné plus d’une fois notre mère en quête d’informations sans en avoir assez à notre goût. Nous rêvions d’êtres présents dans nos rares livres de contes fantastiques. C’était nos petits moments à nous. Rien qu’à nous deux. Avant de devoir retourner dans cette affreuse demeure.
Lors de ces bons jours, si nous pouvions les appeler de la sorte, il arrivait à ce qui nous sert de père de nous emmener en forêt, lors de ses chasses, il lui fallait bien quelqu’un pour aller récupérer ses butins et les transporter. Je me souviens de la première fois qu'il avait dépecé un lièvre devant nous, pour nous apprendre à faire de même, il y a de ça deux ans. Nous nous étions senti si mal, nous étions jeunes et il s'était ouvertement moqué de nous :
« 'Spèces de mauviettes inutiles et faibles. » Avait-il braillé dans un rire gras et écœurant. Depuis, nous ne nous en choquons plus, voilà ce qu'il a fait de nous. Des insensibles. Ce fut la première fois qu'il prit la peine de nous instruire, de nous porter une once d'attention, nous enseignant la chasse, comment utiliser ses armes, carabine comme couteau, comment tuer un animal, comment devenir prédateurs et non proies... Nous n'étions pas aveuglés par cette petite attention de sa part. Il ne faisait cela qu’à une seule fin, qu’on l’aide et lui rapporte plus qu’il ne peut seul. Nous étions peut-être encore très matures, mais nous n’étions pas dupes. Au contraire, nous écoutions en silence, apprenant, retenant ce qu'on avait à retenir, améliorant nos connaissances par nos propres moyens. Pourquoi ? Il est toujours utile de savoir utiliser un couteau...
Il y a 19 ans, Salmon Creek, Juneau. Dix années de vie et nous semblions déjà lassés de celle-ci. Heureusement, Miles était à mes côtés, sinon je n'aurais très certainement jamais été celui que je suis à ce jour. Nous avons beau être jumeaux, je me suis toujours fait serment de le protéger, d'être là pour lui, de le soutenir, de ne jamais partir, ni le laisser subir. En grandissant, Miles a beaucoup changé, semblant beaucoup plus affecté par ce style de vie, son caractère changea beaucoup. Il était tout simplement excédé et parfois, je me laissais penser qu’il présentait les mêmes comportements que ma mère. Mais je ne m’en effrayais pas, je ne le rejetais pas, sans Miles, je suis rien, alors ce n’était même pas envisageable. Il était beaucoup plus tête brûlé que moi, se jetant sans trop réfléchir, comme s’il voulait en finir au plus vite. Pour ma part, j'étais plus stratège, plus réfléchi, analysant avant de me lancer. Si bien qu'il s'attirât plus facilement les foudres de notre paternel. S'il était frappé, j'étais là pour le soutenir, pour prendre à sa place si sa fatigue se faisait trop intense ou les coups trop durs, ce qui arrivait parfois, même s’il était devenu plus robuste avec le temps, Miles se fatiguait. A croire que ces années dans ces conditions étaient en train de lui pomper la vie. Jamais je ne le laissais subir sans m'interposer. Et il en faisait de même pour moi. Nous étions perpétuellement là l'un pour l'autre.
Nous ne nous sommes jamais vraiment faits à cette vie. Comment s'y faire ? La violence de notre paternel avait beau être notre quotidien, il n'empêche qu'autrefois, il nous arrivait de rêver y échapper, avoir une vie normale et heureuse. Mais avec le temps, ces rêves d'enfant se faisaient de moins ne moins fréquents, nous n'avions même plus la force, l'envie, de rêver...
Mais un soir, tout changea.
Nous revenions de l'école, nos hématomes de la veille toujours dissimulés. Pourquoi ces bleus ? Parce que l'une de nos enseignantes s'était inquiétée pour nous, et avait fait l’erreur d’appeler nos parents... Comment avait-elle pu être niaise au point de penser qu’un appel téléphonique règlerait la situation ? Les adultes sont parfois d’un pathétique inné. Comme prévu, cet appel fut loin de plaire à l'autre bourrin. On avait pris pour la gentillesse de cette professeure... Elle avait voulu aider de la pire des manières qu’il soit, en nous enfonçant de plus belle. Pensait-elle vraiment que notre mère ferait quelque chose ? Elle qui sait depuis notre naissance ce que l’on subit ? Pensait-elle vraiment qu’elle mentirait à son effroyable mari lorsqu’il lui demanderait qui a appelé ? Il faut être bien débile pour croire de telles choses… Et on lui avait fait la misère pour cela aujourd'hui. Nous rentrions donc chez nous, en silence, inspirant longuement pour réunir le peu de courage qu'il nous restait et passer la porte de notre maison. Encore une fois.
Déjà à l'extérieur, nous pouvions percevoir les hurlements. Il gueulait d'autant plus que d'ordinaire, boucan insupportable une fois que nous fûmes à l’intérieur. Mais ce qui nous figea, alors que nous nous installions pour travailler, fut bien d'entendre notre mère lui répondre. Elle lui répondait. Depuis quand avait-elle le courage de hausser la voix contre lui ? Depuis quand lui faisait-elle face et le regardait-elle dans les yeux ? Il la fit se taire d'une baffe claquante qui fit gémir notre mère, s'écroulant dans un fracas de casseroles. Miles et moi penchâmes de nouveau nos têtes sur nos cahiers d’école alors qu'il allait pour sortir de nouveau. Il continuait de gueuler dans sa barbe hirsute, je sentis son regard haineux se poser sur nous, nous gelant l’échine. L'espace d'un instant, je crus qu'il allait sauter l'étape saoulerie pour s'attaquer de suite à nous et défouler ses nerfs qui semblaient à vif ce soir. Mais il n'en fit rien bien qu’hésitant l’espace d’une minute, jusqu’à ce qu’il claque la porte faisant vibrer notre demeure branlante puis démarre sa camionnette dans un vrombissement sale avant de filer en direction de la ville.
Miles et moi-même échangeâmes un regard, sachant que nous allions sûrement prendre cher le soir-même... Mais dans notre regard se lisait la même question, que s’était-il passé pour qu’ils s’emportent de la sorte tous les deux ? Bien plus que d’ordinaire… Notamment de la part de notre mère…
« Miles ! Maxence ! Rangez vos affaires, on s'en va. » Le visage de celle-ci était rouge, sa lèvre saignait, ses cheveux étaient dans un bordel indescriptible et ses larmes avaient ruiné son maquillage, la rendant d'autant plus misérable. C'était la première fois qu'elle nous ordonnait quelque chose depuis bien longtemps, nous parlant d’ordinaire comme ses petits princes, nous demandant plutôt que nous obligeant à faire quelque chose… Que s’était-il passé ?
Nous n’eûmes pas le temps de répondre que déjà elle balançait des affaires au hasard dans des sacs et valises, comme animée par une certaine démence, elle baragouinait des paroles, son regard vide vrillait sans prendre le temps de se fixer une seconde quelque part. Parfois elle souriait, parfois elle s’emportait de nouveau. Nous le savions qu’elle allait de plus en plus mal. Mais nous la laissions faire, elle ne nous laissait pas le choix, nous n’avions pas le droit de répliquer et certainement pas l’envie. Elle faisait nos valises… Pourquoi l’arrêter ?
Elle tirait derrière elle valises et sacs avant de se diriger vers la porte, vérifiant que l’antiquité de notre paternel était bien partie avant de sortir. Nous la suivîmes, un maigre éclat d’espoir se lisant dans nos regards. Espoir dont on ne se rendit même pas compte et qu'on eut, malheureusement, pas le temps d'apprécier réellement...
La voiture démarra au quart de tour, les yeux de notre mère fixaient droit devant elle sans émettre le moindre son, comme si le fait que l’un de nous prononce un mot avertirait notre père de notre départ. La route se fit dans un silence pesant et stressant, jusqu’à ce qu’on sorte de la ville.
« C’est fini mes trésors, tout va bien se passer maintenant d’accord ? » Nous la contemplions sans lui répondre, nous serrant de nouveau la main. Disait-elle la vérité ? Ou ne faisait-elle qu’essayer de nous rassurer une énième fois ? Quoiqu’il en soit, le regard de Miles me fit espérer que peut-être avions-nous réellement réussi à lui échapper. Peut-être… Mais jamais nous n'aurions pensé que ce qu'elle faisait, ce soir-là, était de ruiner un peu plus nos vies...
Il y a 19 ans, aux alentours de la Nouvelle-Orléans. Troisième jour sur la route. Notre mère n’avait arrêté de rouler, si ce n’est pour remplir sa voiture d’essence, sortant les billets des deals de notre paternel qu’elle avait dérobé en prévision de notre départ. Troisième jour sans qu’elle n’ait fermé l’œil. Trois jours durant lesquels nous avions subi les aléas de son humeur. Chantant parfois à tue-tête, nous réveillant en sursaut avec sa musique trop forte, quand ce n’était pas ça, c’était ses pleurs et ses cris, parfois son énervement incompréhensible. Elle semblait passer par toutes les émotions possibles. Nous ne comprenions pas. A nos yeux, nous étions sortis d’affaire maintenant, avec autant de kilomètres entre lui et nous. Nous ne pouvions pas compter autant à ses yeux pour qu’il aille jusqu’à passer la frontière et nous retrouver. Nous nous étions donc laissé à espérer. Seul son comportement à elle parvenait à réveiller nos doutes terribles. Et nous aurions dû écouter ces doutes. Nous n’aurions pas dû rêver de la sorte. Car quelque chose d’horrible allait arriver. Par sa faute. Même si jamais nous ne nous serions attendus à cela…
Nous approchions de la Nouvelle-Orléans, ne sachant même pas pour quelle raison nous allions dans cette ville. Notre mère disait avoir des amis pouvant nous y protéger. Notre mère avait des amis ? Même elle ne semblait pas certaine de la correcte utilisation de ce terme… Puis elle reçut ce coup de fil. Elle raccrocha, de suite. La peur se lisait sur son visage, prenant possession de ses traits en une seconde. Le téléphone sonna, encore et encore. Elle ne décrocha pas. Mais sa terreur s’intensifiait à chaque nouvelle intonation de son téléphone. Nous nous étions arrêtés, sensés faire une courte pause. Mais à peine allions-nous pour ouvrir nos portières que ces-dernières furent verrouillées. La voiture démarra au quart de tour, les yeux de notre mère fixaient droit devant elle, mais ils étaient perdus, vides. La pluie battait contre l’habitacle, nous assourdissant, le bruit du moteur jouant aussi un rôle à cela, nous oppressant d’autant plus. La nuit intensifiait la tension et je serrais Miles contre moi alors que notre mère accélérait de plus belle. Je sentais l’inquiétude prendre Miles et se répandre en moi. Si bien que j’osais enfin, après quelques minutes, briser ce silence dense :
« Maman… » Mais elle ne répondit pas, perdue dans une sorte de transe, elle n’était tout simplement plus là. Alors je repris, plus fort, vérifiant que mon frère était bien attaché, la peur m’assaillant le ventre, sentant l’horreur arriver :
« Maman ! Ralenti ! » Dis-je à son attention. Elle ne m’écoutait toujours pas, niant d’un signe lent de la tête. Je me penchais alors vers elle, sentant Miles me retirer vers le siège, les larmes aux yeux. Mais je me foutais de ne pas être bien attaché, il avait peur, ça je ne parvenais pas à l’accepter. Je me penchais donc, espérant la ramener à la raison :
« Ralenti ! Tu vas nous tuer ! » Elle nia de plus belle, comme abrutie par la démence, la détresse et la peur.
« Je ne peux pas, je ne peux pas. » Marmonnait-elle en continuant de fixer devant elle et d’appuyer sur l’accélérateur. Miles me tira en arrière, me forçant à me caler dans mon siège, mais j’affirmais ma prise sur lui, le serrant contre moi.
« Maman ! » Hurla-t-il. Elle se retourna vers nous, ouvrant la bouche pour hurler, son visage déformé par l’effroi et la haine, les larmes finissant de la ravager. Mais je ne la fixais déjà plus, un halo de lumière captant mon attention, me faisant me poster contre Miles alors qu’un bruit terrible nous fit tous sursauter. C’est alors que le camion percuta de plein fouet la voiture, nous projetant dans les airs. La suite, je ne m’en souviens pas, j’avais déjà perdu connaissance.
J’ouvris une première fois les yeux, des lumières virevoltaient en tous sens, la pluie gelait mon visage ensanglanté. A mois que ce ne soit de la neige ? Je ne savais pas. Je ne sentais plus rien, une odeur de brûlé finissait d’alourdir mon crâne, j’eus simplement la force de murmurer :
« Miles… » Avant de sombrer de nouveau, serrant le vide dans ma paume.
J’ouvris une seconde fois les yeux, cette fois dans un sursaut, tentant de me redresser, mais une violente douleur m’en empêcha. J’étais allongé sur un lit médical, des machines faisant un vacarme immense, tapant méchamment sur mon crâne, me faisant grimacer. Une douleur, puis une autre, toutes semblaient vouloir se manifester suite à mon réveil. Une majeure à l’abdomen me tenta d’y porter la main, sans que j’y parvienne. Je n’avais plus de forces. Des tubes me surprirent, m’empêchant, l’espace d’une seconde, de respirer. Puis je serrais de nouveau ma main. Rien. J’oublie de suite toute douleur et m’agite, regardant autour de moi, le cherchant en vain alors qu’un infirmier, ou un docteur, je n’en savais rien, vint pour me calmer alors que je hurlais le prénom de mon frère.
« Calme-toi, ne t’en fais pas. Ton frère va bien. » Je m’agitais de plus belle, me moquant royalement de ce qu’il disait, je ne faisais confiance à personne si ce n’est Miles. Il va bien ? C’était à moi d’en juger. A lui de me le dire. Et comment pourrait-il aller bien sachant que l’on était séparé ?!
« Où est Miles ? » Hurlais-je, puisant dans l’adrénaline, la peur de ne pas être avec mon jumeau, pour élever la voix. Oubliant la douleur pour essayer de m’extirper du lit, n’attendant pas de réponse, repoussant l’homme avec grande difficulté. J’allais pour sortir de ma chambre étouffante et partir à la recherche de Miles quand un malaise me prit, le type était en train de m’injecter un calmant. Il m’installa de nouveau correctement alors que je le fusillais du regard, sentant mes forces s’envoler.
« Ton frère n’est toujours pas réveillé, il va aller, tu le verras quand vous serez tous deux reposés. » Je ne fis rien de plus qu’une moue désagréable, lui lançant un regard glacial en disant long sur ce que je pensais. Je ne voulais pas le voir à mon réveil. Je voulais le voir maintenant.
« Ma-Maman… ? » Réussis-je à questionner, épuisé. Le visage de l’homme se renferma et ce fut suffisant à me faire comprendre. Je détournais le regard alors qu’il glissait un :
« Je suis désolé… » Mais je ne l’écoutais pas.
« Tout ça c’est sa faute. » Je sombrais de nouveau dans le vide.
J’ouvrais une troisième fois les yeux, les sons des machines étaient de plus en plus forts. Je me redressais tant bien que mal. La nuit était tombée. Une faible lumière servait de veilleuse dans notre chambre. C’est alors que je vis Miles. Endormi dans son lit. Je fis de mon mieux pour m’extirper du mien, pour ne pas défaire les tubes et alerter les infirmières de garde, pour ne pas tomber, pour saisir la chaise près de son lit et la rapprocher de Miles. Je m’assis alors, attrapant sa main, attristé de le voir couvert de blessure et m’endormis de nouveau, en pleurant.
Le lendemain matin, on m’avait remis dans mon lit, si bien que je me levais de nouveau en sursaut lorsque je ne sentis pas la pression de la paume de Miles contre la mienne.
« Hey, hey, ne t’inquiète pas, tout va bien. Ton frère est là. » C’était le même homme que la veille, un docteur donc, il me montra d’un signe de tête le lit à ma droite dans lequel dormait encore Miles. Je me levais de nouveau, jetant un regard dur au docteur qui voulut d’abord m’en empêcher puis qui finit par se résoudre à m’aider. Je repris ma place, serrant de nouveau la main de mon frère. Je restais un instant à le contempler sans prêter attention au docteur. Mon frère était dans un état terrible, je m’en rendais compte…
« Qu’est-ce qu’il a à l’oreille ? » Demandais-je faiblement en fixant l’énorme pansement qui cachait une partie de son crâne. C’est alors que le docteur m’expliqua son état, à chaque fois qu’il ajoutait un mot, ma prise sur mon frère se faisait plus forte. Je n’avais pas réussi à le protéger et voilà ce qu’il en résultait.
Je m’en voulais, je lui en voulais à elle, j’en voulais aussi à ce père pourri auquel on avait eu droit. J’en voulais au monde entier. Je ne parlais pas, me contentant de fixer Miles, attendant sans bouger qu'il ouvre enfin les yeux. Ce qu'il finit par faire. Je me souviens parfaitement de son regard lorsqu'il me vit, empli de joie et de détresse, je me souviens l'avoir enlacé, avoir senti qu'il s'accrochait à moi comme à une bouée de sauvetage. Il avait besoin de moi et plus jamais je ne le laisserais tomber. J'en fis le serment lors de cette étreinte.
Ce qu'il s'est passé ensuite ? Nous sommes restés à l'hôpital quelque temps, guérissant plus ou moins doucement. Miles n'entendait toujours pas et c’est ainsi qu’il a arrêté de parler. Car au fond, il était bien plus torturé que ce qu’il laissait paraître. Il avait hurlé, elle avait détourné le regard, il se sentait coupable et savait que je tenterais de le convaincre du contraire s’il me le laissait savoir. Alors il s’est tut, il n’a plus parlé et ne plus entendre sa voix finissait de me briser. De longues cicatrices zébraient mon dos et le sien, quelques-unes mon torse presque similaires aux siennes. Tatouages indélébiles de l'horreur de notre famille.
Notre mère fut enterrée, mais nous étions bien trop faibles pour y assister. Je n'avais pas envie d'y assister. Je ne pensais plus à elle, plus à lui, seulement à Miles. Redoublant d'effort pour apprendre au plus vite à signer, désireux de pouvoir de nouveau partager avec mon frère. Et c'est ensemble que l'on apprit, qu'on se remit sur pied et qu'on finit par quitter, main dans la main, l'hôpital. Non pas pour rejoindre notre maison décrépie, mais pour être placé dans un orphelinat...
Il y a 18 ans, Saint Vincent’s Orphanage, Nouvelle-Orléans. Saint Vincent… Nous y sommes entrés près d’un an après notre accident. Loin d’être entièrement remis, notamment concernant Miles qui n’émettait des sons uniquement lorsqu’il se réveillait en hurlant et en m’appelant, ce même si je ne le quittais plus. Il ne m’entendait plus et c’était pour lui un gouffre terrible qui l’empêchait d’être entièrement rassuré. Nous ne laissions rien paraître de notre mal-être, à moins d’être seuls tous les deux. Intégrer l’orphelinat fut une obligation à laquelle on se plia, bien que j’avais d’autres plans pour nous. Il allait nous retrouver, ils devaient chercher cet unique parent qui nous restait et il était hors de question que je le laisser s’approcher de mon frère de nouveau. Nous nous laissions guider, attendant de reprendre entièrement des forces, ballotés entre l’orphelinat et les rendez-vous médicaux.
Je voyais mon frère se renfermer, souffrir tellement de sa nouvelle condition. Il n’était pas à son aise dans tel endroit, en retrait de tous, je m’étais, moi aussi plongé dans le même mutisme que Miles, décidé à ne pas le laisser affronter son handicap seul. L’unique fois où j’ai parlé de nouveau fut pour remettre à leur place ces orphelins imbéciles qui nous prenaient pour des cibles faciles comme dénués de paroles. Mais ils ne savaient, ils ne comprenaient que si l’on touchait ou ne serait-ce que parler mal à mon frère, alors je voyais rouge et n’hésitais en rien à répondre. Verbalement ou physiquement. La violence ne nous a jamais été inconnue. Répondre à des enfants de notre âge était bien plus simple. Me valant plusieurs corrections et passages en face de ces adultes qui veulent vous analyser, vous comprendre, sans réellement avoir d’autre but que d’empocher leur paye de fin de mois, alors je me replongeais dans le mutisme. Me moquant d’effrayer, m’y plaisant plutôt. Ainsi, personne ne touchait à Miles, je prenais pour lui et je ne demandais que ça. Il avait suffisamment enduré, je n’avais su le protéger, ce n’était qu’un juste retour des choses.
Les mois passèrent, Miles s’y faisait, lentement, certes, mais il s’adaptait, il n’avait pas le choix, mais cela le détruisait. Je le voyais, je le ressentais bien qu’il fasse tout son possible pour me le cacher et ça me détruisait de ne rien faire pour l’aider, pour le sauver de cet endroit lugubre. Je craignais ne pas être suffisamment là pour lui, qu’il me rejette, qu’il culpabilise de plus belle, mais j’avais tort de douter de mon frère. De Mon Miles. Il finit par accepter, par revenir vers moi, par s’accrocher de nouveau à moi comme jamais, me redonnant cette force que seul lui pouvait me transmettre. Cela renforça notre lien, notre complicité, et pourtant, il n’y avait pas un seul instant où je n’espérais pas être à sa place. J’aurais tout donné pour le décharger de ce fardeau, de ce mal qui le bouffait. Mais je ne pouvais pas. J’étais incapable de plus. Même ces pouvoirs que je ne comprenais pas, que je cachais perpétuellement, ne parvenaient à m’y aider. J’étais inutile.
C’est alors que nous avons décidé, ensemble, qu’il était temps de quitter cet endroit malsain. De quitter Saint Vincent. De partir enfin. Pourquoi ? Parce qu’il nous avait retrouvés. Lors d’un énième rendez-vous face à ces psychiatres désagréables faussant l’intérêt pour ces deux enfants qui leur faisaient face, nous avons remarqué cette photographie. Cette image de notre père. Et je me souviens parfaitement du regard empli de détresse que m’a accordé Miles à cet instant. Il venait nous chercher et nous ne pouvions l’accepter. Alors, nous avons rejoint ce petit groupe de jeunes rebelles de l’orphelinat, trois gamins qui avaient assez de jugeote pour mettre en place un plan et s’échapper de l’endroit. June, Adrian, mais surtout Charlie, qui bien qu’elle semblait la plus jeune des trois, me paraissait être la plus débrouillarde. Nous les avons rejoint, les avons suivis et ensemble, nous avons quitté Saint Vincent. Mais j’ai été bien idiot de penser que la peur et le traumatisme de mon frère ne feraient pas de nouveau surface, qu’il se sentirait libéré et irait mieux. Les jours passaient sans que l’on ne soit attrapé, survivant de vols et autres tromperies. Mais Miles allait de moins en moins bien, notamment lorsque nous avancions de nuit et que le moindre halo vif de lumière le faisait sursauter et le lançait dans une crise de panique que j’avais bien plus de difficulté à apaiser maintenant qu’il ne m’entendait plus.
« Il nous ralenti ton attardé de frangin. » Adrian qui s’était lui-même élu chef de notre petit groupe ne rêvait que d’une chose, que Miles nous quitte. Ce qui n’était même pas envisageable. Mon regard noir et glacial le calma rapidement :
« Je ne le laisse pas derrière. » Il a soupiré, exaspéré que je m’attache de la sorte à mon jumeau qui, selon lui, ne méritait que de finir en hôpital psychiatrique.
« Tu nous suis ou tu dégages avec lui. » Il a espéré en me voyant me redresser et m’avancer vers lui. Mais c’est mon poing qui est allé lui répondre, nous nous sommes battus un instant avant qu’il ne se lasse et que je finisse en lui crachant un :
« Dégage, on a pas besoin de bouseux comme toi. On s’est toujours débrouillés seuls. » Et je suis retourné vers mon frère larmoyant, se rendant compte de ce qu’il engendrait, ajoutant en regardant Miles d’un sourire rassurant qui l’apaisa un peu :
« On a jamais eu besoin de personne… » Adrian et June sont partis, Charlie ne savant que trop où se mettre et que faire :
« Dégage aussi, tu seras mieux avec eux. » Je me devais de me focaliser sur mon frère, rien que lui. Personne d’autre. Et nous nous sommes retrouvés seuls, nous avons tenu quelques jours supplémentaires, mais l’état de Miles m’effrayait, nous forçait à nous arrêter plus fréquemment. C’était la première fois qu’il était lâché dans la nature sans entendre le moindre son l’entourant, je n’avais eu la jugeote d’imaginer le supplice que cela pouvait être. J’ai été bête, encore une fois, et par ma faute, nous avons de nouveau été attrapés… Et nous ne sommes pas retournés à l’orphelinat. Non. Nous avons été renvoyés à Juneau. Chez notre paternel. Et l’enfer est revenu nous happer, comme autrefois… Pire peut-être même.
Il y a 18 ans, Salmon Creek, Juneau. Il était au pas de la porte de cette foutue maison à laquelle on pensait avoir échappé, là pour nous accueillir, feignant d’être un gentil père qui ne s’est que trop inquiété pour ses enfants. Tout ce qu’il voulait était, bien sûr, nous récupérer, qu’on lui rapporte encore et toujours plus de blé, qu’il puisse continuer son business et empocher des liasses sans se faire chier à lever le petit doigt. Sa femme était décédée et il s’en moquait royalement. Sa faute à elle d’avoir eu l’audace d’essayer de le quitter. Mais elle avait eu tort, il les avait retrouvés, il l’avait appelé, elle, et il avait participé à cet accident. C’était, encore une fois, de sa faute à lui… C’est ce que j’ai encré dans le crâne de Miles, qu’il a fini par comprendre, par accepter, notre haine à l’égard de ce père sale et dépourvu d’émotion ne cessant de croître. Mais ce que je n’avais pas prévu, c’est qu’au fond, cela soit de ma faute, à moi… A moi et à ces foutus pouvoirs que je n’avais pas demandé. Même décédée, ma mère me foutait dans la merde et me mettait en difficultés… Comment l’apprécier… Comment lui dire merci pour cette vie pourrie. Au moins elle avait su me faire un frère jumeau. C’était tout ce qui comptait… Bien qu’au fond, j’étais sûrement égoïste de penser de tel, Miles aurait été sûrement plus heureux de ne jamais endurer tout cela. Notre père, l’accident, la surdité, le mutisme et … et surtout…
« Rentrez. » Gueula-t-il froidement une fois que la voiture qui nous avait déposés en enfer avait disparue froidement. Je poussais gentiment Miles devant moi, signant pour qu’il comprenne, mais c’était sans compter la poigne de fer du paternel qui me plaqua contre la porte avec rage. Ça recommençait. Déjà…
« Qu’est-ce qu’tu viens de faire ?! » Peinant à respirer et incitant d’un signe de la main Miles au calme je tentais de répondre :
« Si tu t’intéressais un minimum à nos gueules, tu saurais que Miles est sourd. Je lui traduisais juste… » Il me relâcha brutalement et j’appréciais l’air qui vint remplir à nouveau mes poumons.
« T’avises pas de faire le malin le monstre, fais gaffe, sinon c’est ton précieux Miles qui prend. Capté ? » Je m’étais raidi. Le monstre… C’était bien la première fois qu’il m’appelait de la sorte. Je n’ai pas compris de suite, je n’ai pas capté comme il disait si bien, il m’a fallu plus de temps, plus d’allusions… Vous l’aurez sûrement deviné, il savait ce que j’étais.
Notre ignare de père savait que j’étais sorcier. Ça m’a pris un certain temps avant de le comprendre tant c’était énorme et beaucoup lui demander de comprendre tel concept. Voilà la raison pour laquelle, un an plus tôt il s’était emporté contre ma mère, voilà pourquoi il était parti, ce soir-là en nous adressant ce regard si étrange. Parce qu’il s’avait. Il n’a jamais été une lumière, loin de là, mais il n’est pas pour autant dupe, si bien qu’il a remarqué ces escapades que Miles et moi nous permettions, le pensant endormi ou trop préoccupé à autre chose pour s’intéresser à ses gosses. Il nous avait suivi, une fois, très certainement hors de lui de nous voir afficher de tels sourires, il mettait tant de force à nous les effacer à chaque fois… Il nous avait suivis et il m’avait vu user de mes pouvoirs pour faire sourire Miles. Ce précieux sourire qui comptait tant pour moi… Il m’avait vu. La première fois, il avait cru délirer, sujet aux méfaits des drogues et alcool. Mais la seconde fois, il n’en douta pas. La troisième fois non plus. Il était persuadé ne pas être un monstre, grande ironie, alors il était allé vers notre mère. Cette imbécile avait cru qu’il s’intéressait enfin à nous. Faux. Il ne s’intéressait pas à nous, du moins pas lorsqu’il apprit par le biais de sa défunte épouse que j’étais le seul à avoir ces pouvoirs. Mais il ne s’intéressait pas non plus à moi. Il ne s’intéressait qu’à ces pouvoirs qui lui avaient été que trop longtemps cachés. Alors il s’était emporté et elle aussi lorsqu’elle comprit ce qu’il voulait faire de moi… C’est pour ça qu’elle lui a répondu, c’est pour ça que nous sommes partis, c’est pour ça qu’il a cherché à nous retrouver, c’est pour ça que nous avons eu l’accident. Par ma faute. Parce que je n’avais su garder secret mes pouvoirs. Parce que j’en avais usé et n’avais pas suffisamment pris garde à cette ordure… C’était de ma faute… Et je m’en voudrais, éternellement. Car ce n’était que le début…
A peine étions-nous de retour dans notre foutu chez-nous que l’horreur commençait. Nous n’avions même pas droit à une nuit de repos après tant de rebondissements. Pourquoi avions-nous même osé l’espérer…
« Viens par-là toi… » Cracha-t-il une fois la porte fermée derrière nous, ma main se glissant dans celle de Miles qui se pressait vers notre ancienne chambre. Mais il l’avait attrapé par le cou, mon Miles, pour le tirer vers lui et nous priver de notre lien. Le regard effrayé de mon frère en disait long, regard que je partageais avant de lever les yeux vers cet insecte qui s’entêtait à pourrir notre existence. Le sien était malicieux, déjà fier de ce qu’il allait nous faire subir, sachant qu’il allait toucher là où ça faisait vraiment mal.
« Lâche-le ! » Tentais-je en tirant sur sa poigne, ma colère et ma peur faisant parcourir mon geste de picotements qu’il ressentait lui aussi vu la tête qu’il ne tarda à afficher. Du dégoût… De son poing de libre il m’envoya au sol.
« Tu vas te calmer de suite le monstre, sinon tu ne reverras pas ton inutile de frère de sitôt… Quoique… Il peut enfin servir à quelque chose… » Son sourire était revenu alors que je le voyais enfermer Miles dans notre chambre, l’y balançant sans la moindre douceur. J’eus simplement le temps de voir son regard perdu, la main tendue vers moi avant que la porte ne se referme violemment sur lui.
« J’ai d’autres plans pour toi, gamin… » Je ne pris attention à sa poigne sur mon col, je me moquais qu’il me traîne derrière lui, je ne faisais que fixer cette fichue porte qui me privait de mon frère, cette porte contre laquelle les poings de Miles martelaient.
Et c’est ainsi que tout a commencé. Ce soir-là où il m’a emmené à l’un de ses deals, avec son groupe de bras cassés au QI d’huitres… Ce soir-là où ils ont rencontré je ne sais quelles autres personnes qui n’avaient pas l’air plus douées… Ce soir-là où leurs affaires ont apparemment mal-tournées, mais je n’y comprenais rien. Ne voyant même pas pourquoi j’étais là. A moins que je ne cherchais à me voiler la face… Alors que la tension montait chaque seconde d’un cran supplémentaire, j’ai sursauté en sentant la poigne de mon père sur mes épaules.
« Occupe-toi d’eux gamin. » Je l’ai regardé, les yeux écarquillés en comprenant ce qu’il induisait, niant lentement d’un signe de tête, me mettant à trembler contre mon gré. Sa poigne se raffermit, alors qu’il se penchait sur mon oreille :
« C’est soit eux, soit ton précieux frère. Tu ne voudrais pas qu’il lui arrive malheur n’est-ce pas ? » Sa voix malicieuse me donna envie de vomir, alors que je réfléchissais à un moyen de me sortir de là. Mais il n’y en avait pas… C’est lorsque je vis la personne en face de moi sortir un flingue et mon père, si courageux, se décaler derrière moi que je fermais les yeux, me laissant aller. Je n’entendais plus rien, jusqu’à ce que le rire horrible de mon père se fraye un chemin dans mon crâne. Je rouvrais les yeux, lentement, ils étaient embués lorsque je me rendis compte des flammes qui dévoraient ceux qui nous faisaient face, cherchant à se débattre du feu dans des hurlements terribles.
« Tu vois quand tu veux… » Me glissa-t-il à l’oreille alors que je luttais contre les larmes, sentant les forces me quitter. Je restais muet, regardant le carnage, laissant mon père me guider avec une nonchalance extrême jusqu’à chez nous, rouvrant la porte de notre chambre pour m’y balancer, n’osant croiser le regard larmoyant de Miles. Il alla pour se jeter sur moi, cherchant mon regard, ne comprenant pas. C’est alors que je m’effondrais, me laissant tomber contre lui, pleurant dans son épaule en parvenant à peine à articuler :
« Je suis désolé Miles… » Il ne m’entendait pas et pourtant il comprit, me serrant contre lui avec force, essayant de me calmer.
J’ai espéré que ce soit la seule et unique fois qu’il m’use de la sorte. Je n’étais qu’un enfant, je me devais encore de rêver encore un peu… J’allais vite oublier à faire de telle…
Il y a 13 ans, Lawrence, Kansas. Cinq ans. Cinq années qu’il m’utilisait. J’avais été plus qu’idiot de penser qu’il ne le ferait plus. Il avait enfin de quoi se servir de ses gosses et n’était apparemment pas décidé à s’en passer. Alors qu’autrefois il ne nous prêtait pas la moindre attention, ne passant que de rares moments avec nous lors de ses chasses, à ce jour, il ne se séparait presque jamais de nous. Et cela ne faisait que nous dégoûter de plus belle de cette vie que nous menions, de lui, de tout. La lassitude nous avait repris. Miles avait compris comment il m’usait. Il avait compris pourquoi je lui obéissais et il était loin d’aimer cela. Combien de fois passait-il nos soirées, enfermés dans notre chambre, à me gueuler dessus en signes, arrivant à me faire sourire, des sourires tristes, mais apaisés, que je ponctuais d’un geste, lui ébouriffant les cheveux chaleureusement, signant à mon tour :
-Je vais bien. Ne t’en fais pas.- Est-ce que j’allais vraiment bien ? Je ne crois pas non. Mais j’avais toujours Miles, alors ça allait. Ça irait. Je m’étais détaché, cette horrible habitude qui m’était venue à force de répondre aux ordres de mon père. Il aimait être craint. Mais le véritable sujet de la peur de ses disciples et ennemis n’était pas réellement lui, mais plutôt ce gamin qu’il manipulait sans la moindre gêne. Cette bombe à retardement qui n’hésitait désormais plus à agir lorsqu’il lui en donnait l’ordre. Un pathétique chien de combat qui n’avait sa récompense que le soir venu, lorsqu’il pouvait retrouver son frère. Voilà ce que j’étais. Son objet, son arme, sa chose… Je ne le supportais pas, je me détestais pour ça, mais encore plus de ne parvenir à ôter ses griffes de mon précieux Miles. Et pour ça, je m’en voudrais éternellement.
Mon seul réconfort était bien sûr de retrouver Miles, non pas lorsqu’il l’emmenait avec nous, pour assister à ses deals inutiles et ridicules, mais pour avoir cette pression sur moi, pour me menacer si jamais je me décidais à me la jouer rebelle, devinant que cela me viendrait avec l’âge. J’avais fait l’erreur, une fois. Ce jour où je me suis maudit comme jamais. Alors qu’il n’avait pas reçu l’un de ses paiements et m’avais posté en face de son pion, ce-dernier attaché à une chaise pour que je m’occupe de lui.
« Amuse-toi. » M’avait-il dit en entourant les épaules de Miles, je ne l’avais pas supporté, je n’avais pu contrôler mon regard noir qui s’était jeté sur lui. Il l’avait remarqué… Il s’était douté de ce que j’allais faire alors que mes doigts tremblant de haine à son égard caressait ces lames qu’il espérait que j’use à l’égard de son client. Trop paresseux pour se salir les mains lui-même. Le couteau vola, mais pas à l’adresse de sa malheureuse victime. Je ne pouvais accepter qu’il touche de la sorte Miles, je ne pouvais supporter le regard de mon jumeau, ce regard triste et terrassé de me voir agir de la sorte. Lui aussi culpabilisait, depuis quelques temps déjà, depuis qu’il avait compris que le moyen de pression que notre paternel avait sur moi n’était autre que lui. Qu’est-ce que ça pouvait être d’autre que lui ? Il est le seul que je n’ai jamais autant aimé, qui n’ait jamais autant compté à mes yeux et eut une place si encrée dans mon cœur… C’est pourquoi il n’a pas hésité une seule seconde à pousser Miles devant lui alors que la lame fusait dans l’air. L’horreur me prit lorsque je vis ce qu’il fit, lorsque les yeux de mon jumeau s’écarquillèrent. De peur… Je fis un geste vif, visant à dévier le couteau de sa trajectoire. Le soulagement me prit l’espace d’un instant, lorsque je vis la pointe se ficher dans le mur derrière eux, mon regard allant se déposer sur Miles. Il était toujours pétrifié, me fixant, finissant sûrement par remarquer ma peur pour tenter une esquisse. Mais son sourire, pour une fois, ne réussit pas à me calmer.
« Miles… » Chuchotais-je d’une voix brisée en remarquant une ligne fine rouge se dessiner le long de sa joue. Je sentis mon corps se tendre, mes yeux s’embuer. Je n’avais pas été assez rapide. Je lui avais fait du mal. Moi. A mon Miles.
Ce-dernier n’eut pas besoin de plus pour deviner que quelque chose n’allait pas, Levant un doigt vers sa blessure, ne s’en étant pas de suite rendu compte, ses yeux se déposant de nouveau sur moi, paniqué. Il commença à signer, sans me quitter des yeux :
-Je vais bien, ne t’en fais…- Mon père le bouscula, la colère imprégnant son regard alors qu’il se jetait sur moi, son poing venant frapper ma mâchoire avec violence, me faisant mettre un genou à terre. Mais je ne lui répondis pas. Je le méritais.
« Qu’est-ce qu’t’as cru p’tit con ?! » Un nouveau coup alors que Miles se redressait, se figeant alors que je lui lançais un regard visant à l’arrêter et ne même pas penser à s’interposer. Je subissais les coups, mais ils étaient loin d’égaler la violence de cette culpabilité qui me rongeait. J’avais blessé mon frère. Je n’étais décidemment pas fait pour le protéger. J’étais pourri jusqu’à la moelle. Qu’est-ce que j’avais imaginé… Je me dégoûtais plus que le goût de mon sang qui noyait mes lèvres alors que mon père apaisait ses nerfs sur moi…
« Debout l’horreur. » M’ordonna-t-il, et je lui obéissais, me relevant, crachant le sang qui me gênait avant de le fixer d’un regard vide.
« Tu finis ce que t’es venu faire, tu rentres et on aura l’occasion de rediscuter de ton acte puéril de rébellion. » Je me réveillais en réalisant ce qu’il induisait, qu’il allait rentrer, seul, avec mon Miles, dans cet appartement que l’on squattait depuis notre arrivée dans le Kansas. Il sourit en tapotant sur la tête de mon frère :
« T’avises pas de faire des conneries. Je le saurais… » Et il partit, me laissant là avec l’autre type et deux de ses gorilles. Je les regardais partir tentant de calmer la peur qui me gagnait de plus belle. Peur qui ne tarda à se muer en colère. Contre lui, contre moi-même, contre tout… Et celui qui en pâtit ne fut d’autre que ce pauvre imbécile qui devait bien regretter d’en être arrivé là…
Il ne fallut pas plus d’une trentaine de minutes, à mon goût bien trop longues, pour obtenir ce que je désirais. Enfin, ce qu’on m’avait demandé… Bon petit toutou que j’étais… Je le laissais filer, nettoyant d’un geste ces outils que j’avais utilisés, allant pour les ranger lorsqu’un groupe de trois personnes firent éruption dans l’entrepôt où je me trouvais avec les deux imbéciles. Un vieux, un type et une jeune fille. Une gamine qui me disait étrangement quelque chose. Je la fixais sans comprendre d’où je l’avais vue, jusqu’à ce que ça me revienne. Ces années à l’orphelinat. Cette fugue précipitée et mal préparée.
« Charlie… » Chuchotais-je, plus pour moi-même qu’autre chose… Qu’est-ce qu’elle faisait là ? Elle allait bien, sa fugue devait s’être mieux déroulée que la nôtre vu qu’elle semblait bien accompagnée. De chasseurs. Vu les regards posés sur moi… Le contre-nature dans cette petite assemblée humaine… Elle aussi devait me voir comme un monstre maintenant. J’ai eu un petit rire. Nerveux. Ils étaient là pour moi et il était hors de question que j’en sois plus séparé que je ne l’étais déjà…
Notre petite victime fut la première à filer et, lorsque je vis les chasseurs se mettre en mouvement je lançais la table à leur attention, pour les ralentir, laissant les deux macaques sur place avant de filer par l’arrière. Je passais une ruelle, une deuxième, une troisième avant de cesser de courir, tendant l’oreille pour vérifier être seul, reprendre d’un rythme plus calme mon retour vers Miles. C’était sans compter la petite demoiselle qui vint me barrer la route. Je soupirais dans un petit sourire :
« T’es têtue ou quoi ? » Je restais là, sans bouger, elle semblait aussi m’avoir reconnu, c’est peut-être pour ça qu’elle hésitait, elle aussi…
« Tu as l’air de t’en être bien sortie, Charlie… » Dis-je sans la quitter du regard avant d’ajouter avec un petit sourire :
« Ce n’est malheureusement pas le cas de tout le monde, alors si ça ne t’ennuie pas, je dois retrouver mon frère… » J’avais remarqué des cordes trônant dans des caisses amassées derrière elle.
« Désolé… » Chuchotais-je juste, la coupant et ne lui laissant pas prendre la parole. Je n’avais pas besoin de ça, pas besoin d’être plus jugé que je ne me l’infligeais déjà. Alors d’un signe de la main les cordes vinrent la ligoter pour me laisser filer, lui adressant un dernier regard avant de rentrer auprès de Miles, sachant qu’il chercherait à me rassurer. Mais ça ne marcherait pas… Pourquoi est-ce que ça ne marchait plus ? Encore une fois, c’était de ma faute.