« Je sais que tu meurs d’envie de me le dire. Crache le morceau et j’arrêterai de te faire du mal. » Elle restait de marbre, serrant ses mâchoires, faisant de son mieux pour ne pas crier, pour ne pas le supplier d’arrêter. Forte, elle se devait de rester forte. A tous prix. Comme on le lui avait appris. Le craquement résonna, sec, dur. De nouveau, cette douleur vive l’envahit, contractant chacun de ses muscles. Un long gémissement étouffé, un cri étouffé. Tenir.
« Dis-moi tout. Maintenant. » Il se penchait sur elle. Cet homme, le visage dissimulé, la voix déformée par un mécanisme, il se cachait, c’est comme ça qu’elle avait deviné après les deux jours qu’elle avait passé enfermée dans une cellule sans fenêtres ni meubles, après qu’il ait passé deux autres jours à la torturer sans relâche. C’est pour cela qu’elle se forçait de plus belle à tenir. C’était lui. Son père. Et jamais il ne lui pardonnerait si elle lâchait prise maintenant. Jamais il ne la laisserait tranquille. Et alors les entraînements reprenaient. Ceux-là étaient les pires de tous. Trois années qu’elle les endurait. Depuis ses treize ans. Elle n’avait jamais su qu’ils se finiraient de la sorte. Par de tels travaux pratiques. N’a-t-il donc pas de cœur ? Cela ne la faisait que le détester un peu plus. Était-ce possible ? Il semblerait.
« Ja-… » Elle tenta de parler, la douleur lui embrouillait le cerveau, elle n’arrivait pas à respirer.
*Arrête Sheila. C’est ce qu’il veut.* Elle ne perdrait pas. Il en était hors de question.
« Quoi ? Je ne t’entends pas gamine ! Tu laisses déjà tomber ? » Il rit aux éclats jusqu’à ce qu’il la voit relever la tête, un sourire aux lèvres
« Jamais je ne répondrais à tes questions, éclate-toi, je ne céderais pas. » La baffe l’envoya, elle et son siège au sol. Mais elle tient bon. Elle ne s’avouerait pas vaincue. Il ne gagnerait pas. Perdre est terrible. Perdre face à quelqu’un qu’on hait est bien pire. Deux nouvelles journées s’écoulèrent. Elle ne parla pas. Elle ne céda pas. Elle tenta de ravaler ses larmes. Elle se battrait. Puis vint enfin la fin de ce jeu sordide. Elle était épuisée, à bout, mais toujours là. Abîmée, blessée, mais pas détruite. Loin de là. Il ôta enfin son masque. Le visage souriant de son père lui fit alors face et c’est de sa vraie voix qu’il déclara :
« Bravo Sheila, tu as réussi. Je suis fier de toi. » Elle s’en foutait de sa fierté. Elle s’en foutait de ce qu’il pensait. Elle le détestait juste un peu plus. Voilà tout.
Il l’attaque, elle bloque d’un bras et tente de lui rendre un coup du droit. Non, pas aussi facile, il l’esquive sans grande peine, faisant glisser sa jambe sous ses pieds pour la mettre à terre. Ouverture facile, il s’y est précipité. L’esquisse d’un sourire alors qu’elle s’élance pour lui passer par-dessus, lui jetant son genou dans les côtes au passage. Désarçonné, il la cherche, trop tard. Elle le fait tomber au sol avant de l’immobiliser au sol.
« T’es mort frérot. » Sourit-elle, avant de se relever pour allumer la lumière. Lonan se redresse lentement, se frottant les côtes avec une grimace.
« T’aurais pu y aller doucement… » « Tu sais bien que ce n’est pas de rigueur dans la famille… » Chuchota-t-elle, ses fantômes du passé en tête. Il en a lui aussi... Elle l’aide à se redresser. Lonan, son petit frère, de quatre années son cadet, elle tient tant à lui. Pourtant, elle ne peut s’empêcher de le voir, il a le regard de leur père… Leur fichu paternel. Sa haine à l’égard de ce-dernier n’a cessé de grandir. Ils ne sont pas ses enfants à ses yeux. Ils sont ses soldats. Ses jouets qu’il construit depuis l’enfance, petit à petit pour en faire de parfaits petits chasseurs. Des chasseurs dignes des McGuinness.
Elle en a assez qu’il rabâche toujours la même chose.
« Les McGuinness n’ont qu’un seul but. Venir à bout du vampire qui a osé semer le désordre dans notre grande lignée. Tobias Bucky Barnes. » Combien de fois les a-t-il asséné avec ce vampire ? Elle se souvient d’avoir vu un ancien portrait du dit vampire. Elle se souvient de l’avoir vu sur les photos prises par certains des chasseurs, dans l’un de ces innombrables dossiers d’archive qui ne cessent de s’empiler. Et quand l’ont-ils attrapé ? Jamais. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas seul. Et son vampire d’ami n’y va pas de main morte. Les rangs des McGuinness n’ont cessé de s’amoindrir au fil des siècles. Mais Alastar, le paternel dont on parlait, le soi-disant leader des McGuinness, a toujours eu réponse à ces doutes qui sont plus d’une fois sortis des bouches de ses pions.
« Seuls les plus forts sont restés. Tant pis pour le reste. » Voilà ce qu’est Alastar McGuinness. Un monstre. Un monstre qui leur a fait tant de mal à tous. Alors pourquoi continuent-ils de suivre ses ordres ? Pour la simple raison qu’ils savent tous qu’il est suffisamment dur et terrible pour venir à bout de ce vampire.
Tous… Excepté Sheila. Depuis son plus jeune âge, la jeune fille ne rêve que d’une chose. Partir. S’enfuir. Se débarrasser d’eux. Essayer de sortir son frère de cet environnement malsain. Car malgré tout, elle continue de croire en lui, elle continue de croire qu’il ne se laissera pas happer par les terribles paroles de leur père. Il est plus intelligent que ça… Elle a déjà perdu son jumeau, elle ne perdra pas son petit frère.
« Qu’est-ce que t’as à me regarder comme ça ? » Lonan la sort de ses pensées. Elle se secoue et s’étire.
« Encore une fois. » « T’es sérieuse ? Ça fait déjà 5 combats à l'aveugle, j’ai compris que t’avais le dessus. T’as pas des cours à potasser mademoiselle l’étudiante ? » Elle sourit. Oui, elle a réussi à faire ça au moins. A tromper son père. A faire croire à une couverture afin de faire ce qu’elle voulait… Elle n’a jamais eu le temps de faire ce qu’elle voulait. De se faire des amis. C’est une chance qu’actuellement ils restent dans la même ville aussi longtemps pour qu’elle finisse ses études. Elle n’y a pas cru. Trois ans, bientôt quatre. Elle a enfin eut un peu de temps pour faire des connaissances. Une grande première.
« Je te fais passer avant mes cours, estime-toi heureux. Et ne fais pas ton trouillard. Bats-toi. » Elle a un sourire alors qu’elle éteint de nouveau la lumière, il leur faut un petit temps, l’oreille tendue à la recherche de la moindre erreur de l’autre, du moindre bruit. Du moindre frottement. Ça y est. Il l’a effleuré. Elle sourit. Finalement, peut-être qu’elle aime ça. Se battre…
Aujourd’hui est son anniversaire. Personne ne le sait, ou du moins, tout le monde s’en moque. Personne ne fête les anniversaires chez les McGuinness. Il y a bien plus important à faire. Seul Lonan lui a fait une bise ce matin lui faisant décrocher, ce qu’elle pensait être, son seul sourire de la journée. Mais elle n’était pas au bout de ses surprises.
« Nous avons une nouvelle piste. Tout a été arrangé. Tu pars demain Sheila. » Voilà qu’elle se retrouvait de nouveau sans aucun choix. Voilà qu’il lui imposait encore une destination. Elle jouait nerveusement avec son briquet :
« J’ai le droit de demander où et pour combien de temps ou je devrais encore attendre que t’aboies ? » Elle ne le regarde pas mais elle sait parfaitement le regard qu’il lui jette. Mécontent, encore une fois. Pourtant, il n’a cessé de lui dire qu’elle était digne des McGuinness, qu’elle était forte, qu’il était fier. Mais elle s’en foutait royalement. Tout ce qu’elle voulait, d’autant plus maintenant qu’elle avait 27ans, c’était partir. Être enfin libre… Mais on n’échappe pas aussi facilement à la poigne d’Alastar McGuinness…
« Beacon Hills. Aussi longtemps que je le dirais. » « Tu m’envoies encore sur une fausse piste ? Une connerie de sosie encore ? » Il tape du poing sur la table. Cette fois, il n’est pas le seul à lui jeter un regard noir, l’imbécile qui sert aussi de mère à Sheila se joint à lui. Lonan reste de marbre. Poursuivant son repas, jetant seulement un coup d’oeil à sa soeur qui s’allume une clope. Elle sent l’énervement la gagner. Son seul déstressant.
« Il y a été vu plusieurs fois. Il semble s’y être installé. On ne peut pas y aller trop nombreux où il nous échappera encore. Grâce à ta technique, personne ne connaît ton visage. Tu sais ce que je pense de tes compétences. Vas-y. Renseigne-toi. Renseigne-moi. Et nous serons à tes côtés pour le finir. » Elle ne le croyait pas, mais c’est en le regardant et en daignant enfin jeter un coup d’œil dans le dossier qu’il lui avait jeté qu’elle se rendit compte que c’était bien réel. Elle était envoyée elle, elle seule, sur une vraie piste. Pour une durée indéterminée.
« T’es sérieux ? » Elle tentait de garder une expression neutre, sinon il se douterait qu’elle était bien trop heureuse à son goût et ça, c’était hors de question. Elle sentait, en lisant les quelques documents qu’elle effleurait du bout du doigt sa liberté tant attendue. Ce n’était pas maintenant qu’il fallait faire une erreur.
Pourtant, elle ne savait pas qu’elle allait en faire des erreurs…